L’archange Michel. Icône écrite par Luc Castonguay (images reproduites avec autorisation).

2. Le cheval et l’archange Michel dans l’Apocalypse

Luc CastonguayLuc Castonguay | 1er décembre 2025

Rappelons tout d’abord que le propos de cette série d’articles est de retracer la présence d’animaux dans les récits bibliques et d’analyser leur fonction soit-elle matérielle, symbolique et parfois même théologique. C’est dans cette perspective que nous examinerons le rôle du cheval dans un passage du livre de l’Apocalypse de Jean et de son icône représentant l’Archange Michel archistratège terrassant le diable. Mais nous ne pouvons pas analyser la monture sans connaitre son cavalier, car cavalier et cheval ne font qu’un.

La hiérarchie angélique et la figure de l’archange

La tradition chrétienne reconnait une hiérarchie des anges composée de trois triades totalisant neuf chœurs. La première se compose des séraphins, des chérubins et des trônes. La deuxième englobe les dominations, les vertus et les puissances. Et on retrouve dans la dernière les principautés, les archanges et les anges. Disons d’une façon sommaire que le premier groupe est uniquement au service de Dieu, que le deuxième est au service de l’homme et que le troisième transmet les commissions ou messages de Dieu aux hommes. Ceux-ci sont chargés de la gestion directe, ou de l’interaction, du divin avec l’humain.

Notons que le préfixe « arch », dans le mot archange, est employé pour désigner le principal. Un archange est donc un « chef messager » de Dieu. Il est chargé des messages les plus importants qui doivent être délivrés aux hommes. Michel, Gabriel et Raphaël sont des figures angéliques majeures dans les trois religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. Ces trois archanges sont fêtés ensemble le 29 septembre par l’Église catholique tandis que l’Église orthodoxe les fête le 8 novembre en compagnie cinq autres archanges : Uriel, Selaphiel, Jéhudiel, Barachiel et Jérémiel.

Le culte à saint Michel s’est développé, tant en Occident qu’en Orient, dès les IVe et Ve siècles. De nombreuses églises et abbayes ont été érigées sous sa protection, dont la célèbre abbaye du mont Saint-Michel d’où sa statue d’or le surplombe à plus de 150 mètres de hauteur. Fait notable à ajouter à son sujet, un chapelet, appelé aussi chapelet des anges, a été créé en son honneur [1].

La symbolique du cheval

Connaissant mieux le cavalier, nous pouvons maintenant jeter un regard sur sa monture, le cheval, qui constitue le sujet véritable de cette étude. Animal puissant, le cheval confère à son cavalier une force presque invincible. Depuis la nuit des temps et dans toutes les cultures, il occupe une place importante tant sur le plan symbolique qu’économique.

Il évoque à la fois la force au travail et la vélocité au déplacement. Il est cité plus de 100 fois dans la Bible (en particulier dans l’Ancien Testament). Dans ces passages, le cheval apparait tantôt comme monture de parade, de pouvoir et de prestige, tantôt comme instrument de guerre ou encore, comme dans le passage étudié, au cœur de combats célestes où il est « porteur à la fois de mort et de vie, lié au feu [par sa couleur], destructeur et triomphateur [2] ».

L'archange Michel © Luc Castonguay

(icône © Luc Castonguay).

Lecture de l’icône de l’archange Michel

L’icône illustrant ce propos fait référence à deux épisodes de l’Apocalypse : le chapitre 6, versets 1-8 et le chapitre 12, versets 7-9. La première concerne la représentation du cheval, la seconde celle de l’archange Michel. Cette icône constitue ainsi une allégorie de plusieurs passages de l’Apocalypse de Jean. Ce qui est très courant en iconographie où dans l’image on retrouve plusieurs scènes qui se réfèrent à un sujet traité.

Pour commencer la lecture de notre icône, précisons que le nom de la scène représentée est généralement inscrit dans la partie supérieure du cadre ; c’est le nom propre de l’icône et c’est pourquoi il est toujours inscrit en majuscule. Tandis que le nom des personnes figure en plus petit à proximité d’eux. Sur cette icône le nom est suivi d’un renom (ou qualificatif) : saint Michel archistratège, soulignant sa fonction de chef des armées célestes. Il est ainsi reconnu comme le meneur de la cavalerie céleste. « L’ange de lumière qui garde le monde, s’oppose à Lucifer, commande les troupes célestes et pèse les âmes avec sa balance aux forces maléfiques [3]. »

La grande bordure sombre du cadre évoque l’anxiété provoquée par cette scène biblique : dans cette image (eikon en grec), c’est le bien et le mal qui s’affrontent. Mais malheureusement, nous pouvons certainement dire que ce combat est encore loin d’être gagné.

La partie creusée de l’icône, souvent recouverte de feuilles d’or et appelée « lumière » est le lieu sacré de la représentation. Le nimbe entourant la tête de Michel, le désigne comme un être de lumière, reflet de la lumière qu’est Dieu [4]. Pour cette icône, l’iconographe a employé de l’or vert pour dorer le registre supérieur. Par cette teinte, symbolisant l’espérance et la renaissance, on a voulu mettre l’accent sur le message d’espoir que le passage du combat figuré ici sera la victoire ultime des forces divines, le bien, sur les forces démoniaques, le mal (Ap 12,7-9).

L’archange et sa monture sont majestueusement peints en rouge, couleur de la fougue et de la passion. En plus ils sont valorisés on ne peut plus positivement par les traits lumineux (dits l’assit) qui font resplendir les habits de l’ange, sa couronne et les harnais du destrier. Comme nous l’avons vu plus haut, l’or symbolise la lumière divine. Il faut noter que les ailes de l’ange et du cheval sont elles aussi dorées. François Cheng a écrit que « l’aile a reçu de la nature le pouvoir d’entrainer vers le haut ce qui pèse, en l’élevant du côté où demeure la race des dieux. C’est elle qui […] parmi toutes les choses corporelles, participe le plus au divin [5]. »

Les attributs et la victoire de l’Archange

Saint Michel porte tous les attributs des quatre chevaux de l’Apocalypse : l’arc, la couronne, l’épée, la balance (6,2-5). L’arc symbolise l’alliance. La couronne, la prééminence du porteur. L’épée peut être vue comme un instrument de force, de domination, de discernement et de différenciation entre les deux antagonistes. La balance pèse au poids l’âme et la conscience des uns et des autres. De plus il tient dans sa main droite le livre scellé de la révélation et sonne la trompette du jugement. Ainsi représenté, il peut à juste titre être considéré comme le prince des milices célestes, l’archistratège.

Sur le registre inférieur de l’icône, on retrouve « celui qu’on nomme Diable ou Satan » (12,9), figurant la force du mal. Il est représenté rampant sur un espace sombre parsemé de flammes rouges et où même la cité semble s’écrouler dans le tsunami engendré par ce combat divin. Une autre icône, presque identique en symbole et en image, est celle de saint Georges : cavalier tuant le dragon, combattant le mal par le bien.

Conclusion : portée symbolique de l’Apocalypse

Ce livre de révélation de la Bible duquel est tiré le texte imagé par notre icône, se veut symbolique : « Dieu et Satan, le bien et le mal, s’affrontent sans cesse dans le cœur des humains, où qu’ils se trouvent dans l’espace et le temps […] L’Apocalypse serait en fait une sorte d’allégorie de la vie chrétienne [6]. » Dans le chapitre qui annonce la victoire du Messie, la Parole de Dieu apparait montée sur un cheval blanc ainsi que toute son armée (19,11-14).

Enfin, il est à noter que le pape François a désigné saint Michel comme patron de la cité du Vatican : « En consacrant l’État de la Cité du Vatican à l’archange saint Michel, nous lui demandons de nous défendre du malin et de le chasser au-dehors [7]. » À cette occasion le pape lui a dédié une prière [8].

Luc Castonguay est iconographe et détenteur d’une maîtrise en théologie de l’Université Laval (Québec).

[1] « Prière du chapelet de saint Michel archange » (Prierlechapelet.com).
[2] Jean Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1969, p. 222.
[3] Alfredo Tradigo, Icônes et saints d’Orient. Repères iconographiques, Paris, Éd. Hazan, 2005, p. 46.
[4] Michel Quenot, Les clefs de l’icône. Son langage symbolique, Saint-Maurice, Éd. Saint- Augustin, 2009, p. 55.
[5] François Cheng, De L’âme, Paris, Albin Michel, 2016, p. 59.
[6] Rodolfo Felices Luna, [note de cours BBL 409 l’apocalypse : fin ou commencement] Université de Sherbrooke, 2014.
[7] Pape François, « Bénédiction de la statue de l’archange saint Michel » (5 juillet 2013).
[8] Pape François, prière de consécration du Vatican à saint Michel archange du 5 juillet 2013 lors de l’inauguration d'une statue dédiée à l’archange saint Michel.

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