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chronique du 8 février 2008
 

C’est dans le désir que naît la tentation

Lire Matthieu 4, 1-11

Pistes préparées dans le Cahier liturgique de la Campagne de Carême 2008, Pain pour le Prochain et Action de Carême, Suisse.

Lectures pour accompagner cette réflexion :
« Shéma – Ecoute Israel » Deutéronome 6, 4 et ss, Deutéronome 8, Ezéchiel 3, 1-4

Après les récits de l’enfance, Matthieu nous a conduits au chapitre 3 de son récit de Bonne Nouvelle au bord du Jourdain. Dans le passage qui précède la lecture de ce jour, Jésus a été baptisé dans le Jourdain par son cousin Jean. Sorti des eaux, il a vu l’Esprit venir sur lui et il a entendu une voix disant : « Celui–ci est mon Fils bien–aimé, celui qu’il m’a plu de choisir. » Et l’évangéliste d’enchaîner : « Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable », comme si la tentation était la suite logique du baptême, sa conséquence immédiate.
Pour le juif Matthieu et pour la communauté judéo-chrétienne du premier siècle qui nous transmet ce récit, la plongée dans les eaux du Jourdain et l’entrée dans le désert évoque nécessairement une autre traversée et un autre désert : la traversée de la Mer Rouge et les années de désert du Sinaï. Quarante années d’épreuve au cœur desquelles Dieu leur a donné les Dix Paroles (ou Dix Commandements) qui leur ont permis de devenir des femmes et des hommes libres.

     En ce dimanche d’entrée en Carême et de montée vers Pâques, souvenons-nous que, pour un juif,  Pessah-Pâque, ne se vit pas au passé, mais réellement au présent. Ainsi, quand la communauté matthéenne nous rapporte cet épisode essentiel de la vie de Jésus, elle partage un évènement essentiel de sa propre foi : « hier nous étions esclaves, aujourd’hui nous sommes libres », renforcé par l’évènement pascal : « Hier, ô Christ, je partageais ton tombeau, aujourd'hui avec toi je ressuscite » (formulation du temps pascal dans la liturgie orthodoxe).
Mais pour nous, qui n’avons vécu ni la libération d’Égypte, ni le choc du Tombeau Vide et l’arrachement à la mort, ce passage, cette traversée de l’évangile est-elle autre chose qu’un récit initiatique propre au parcours de Jésus ? Ce passage a-t-il réellement de quoi nous bouleverser aujourd’hui et qui plus est pour une campagne de solidarité ?

     Les résonnances qu’il évoque aujourd’hui, pour les femmes en particulier, ne sont-elle pas malheureuses ? Cet épisode ne nous rappelle-t-il pas plutôt douloureusement la première tentation racontée dans la bible ? Comment se peut-il que les lectionnaires proposent en première lecture de ce jour l’histoire malheureuse de la première femme succombant à la première tentation, plutôt que les textes auxquels Jésus se réfère dans ses réponses au Tentateur, les Paroles au cœur du Shema Israël-Écoute Israël, écoute les Paroles qui te feront tenir debout, vivant ? Rapprochement écrasant, qui pèse son poids de pierres et ne semble guère nourrissant.

Un jeûne qui donne faim

     Ayant jeûné pendant quarante jours et quarante nuits… Dans les deux premiers versets Jésus est emmené passivement au désert. Pendant 40 jours et 40 nuits (contrairement à la Création qui va de l’obscurité à la lumière, ici l’inversion suggère un passage de la lumière vers l’obscurité), il ne se passe rien, sinon que Jésus jeûne. Peut-être imaginons-nous que dans le désert, il n’y a rien d’autre à faire que jeûner ? Pourtant le désert n’est pas obligatoirement le lieu où l’on s’arrête de manger. Certes la nourriture ne s’y trouve pas toute seule ; certes, il faut s’organiser, ne pas tout manger d’un coup, profiter de la manne qui tombe du ciel… Mais désert ne rime pas forcément avec jeûne. Dans notre texte, le verbe est à l’actif, Jésus fait le choix de jeûner.
Il ne se passe rien d’autre durant ces longues quarante journées résumées en un bref demi-verset chez Matthieu.

     … finalemen [1] il eut faim Un petit mot de rien du tout déclenche une avalanche d’événements : finalement.  En grec,  ce mot se dit : hustéron. Hustéron, littéralement, c’est le moment qui ouvre au futur, à ce qui vient à la fin, au moment essentiel. Hustéron, en français, a engendré le mot utérus. Lieu de promesse et de fécondité, lieu de naissance. Hustéron, lieu du bas du corps, du fond, évoque la mort, le tombeau [2] et les profondeurs de l’inconscient.
Hustéron a engendré aussi le mot hystérie. Par ce mot Freud parle de ce qui traduit dans le corps les transformations profondes de l’âme. Au XIXe, l’hystérie était une maladie essentiellement féminine, parce que souvent les femmes n’avaient pas d’autre moyen d’exprimer les changements profonds de leur être. L’hystérie était d’ailleurs soignée par la catharsis ou purification! Ainsi, après 40 longues et lourdes journées de jeûne volontaire, le tournant de ce récit est un petit mot de rien du tout, qui parle de temps, de gestation, de transformation et d’ouverture au futur.

     Finalement il eut faim : avoir faim, c’est aussi l’expression utilisée par Matthieu dans les Béatitudes : heureux ceux qui ont faim et soif de justice. Finalement, il eut faim : c’est avec l’expression de ce désir que s’ouvre la séquence de la tentation. La tentation survient quand arrive la fin de la gestation, quand vient le désir qui ouvre au futur.

De tentations en tentations

     Première tentation : Jésus est invité à faire l’impossible, à se prendre pour Dieu. Cette tentation se relie très concrètement à l’expérience pascale du peuple dans le désert : Celui qui donne à manger avec la manne, mais surtout avec les Dix Paroles, c’est Dieu. C’est le cœur du Shema Israël.

     Deuxième tentation : placé au sommet du Temple, Jésus est mis au-dessus de Dieu,  au-dessus du Saint des Saints qui symbolise l’habitat de Dieu sur terre.

     Troisième tentation : Jusqu’alors le tentateur mettait en doute l’identité de Jésus : « Si tu es Fils de Dieu ». Jusqu’alors il invitait Jésus à se situer par rapport à Dieu. Cette dernière tentation change de ton et ne commence plus par « Si tu es.. : ». La question n’est plus de savoir qui est Jésus mais de savoir ce qu’il fait : « Si tu te prosternes ». La question n’est plus de savoir si Jésus est le Fils de Dieu, la question est de savoir devant qui il se prosterne.

     C’en est trop. Jusqu’alors Jésus discutait avec cette voix qui s’était approchée de lui. Il a argumenté avec des paroles fortes de la Tora, celles qui suivent le Shema-Écoute Israël, qui fondent une identité et une vie. Il dialoguait avec cette voix qui venait le chercher dans sa nouvelle identité, le forçait à se poser des questions sur lui. Mais maintenant c’est terminé. Jésus ne discutera pas plus longtemps.  Il est hors de question qu’il change de repère, de référant : « Retire-toi, Satan ». S’il n’est pas encore bien sûr de qui il est, il sait quel est son Dieu, indiscutablement.

Les faims de nos jeûnes

     Bien des chrétien-ne-s sont engagé-e-s, ouvertement ou discrètement, dans les mouvements de solidarité et de justice sociale. Mais l’année est longue et lourde de pierres: engagements, déceptions, achoppements, découragements, épuisements. Et nos solidarités quotidiennes prennent l’allure d’une traversée du désert. Mais finalement, au bout de nos fatigues, de nos débordements, revient, avec le temps du Carême, notre faim de profondeur, de faim de justice, de partage. Finalement surgit en nous le désir et d’être nourri et de partager notre pain. Et avec lui, nos tentations. Sans nos désirs de partage, nous ne serions pas en danger. Sans nos faims, nous n’aurions pas à travailler à la question de notre identité et à choisir nos références. 
Nos faims portent en elles bien des tentations :

  • Le désir de faire nous-mêmes des miracles et le découragement parce que nos pierres ne se changent pas en pain.
  • Le désir de nous jeter à corps perdu dans toutes les œuvres humanitaires, à la place de Dieu, en imaginant que quand nous serons au bout de nos ressources, Dieu volera à notre secours et nous rattrapera.
  • Le désir d’agir pour le bien-être humain, de manière excessive, en dehors de toute référence à Celui qui est Parole nourrissante de vie ; le désir de servir la cause humanitaire avant tout, par-dessus tout, et d’en oublier qui nous sommes et pourquoi nous avons finalement faim.

Quand finalement Jésus nous apprend à désirer…

  • Jésus nous rappelle que quand Dieu nourrit, il ne nourrit pas seulement le corps, mais bien l’être par une parole qui convoque à vivre.
  • Jésus nous rappelle que c'est avec Dieu et non à sa place que nous pouvons agir pour plus de justice.
  • Jésus nous interpelle sur notre désir de justice : quelle justice servons-nous?
     Finalement, comment vivre les désirs de nos faims pour qu’ils soient porteurs de vie, pour moi, pour nous, pour les autres?

Véronique Isenmann

Notes

[1] Selon la traduction de la TOB. La traduction en français courant omet ce mot.

[2] Voir Débora Kapp, Souvenez-vous,  dans V. Isenmann, La Dame de sel, Novalis, 2006.

Chronique précédente :
Je vous en supplie, au nom du Christ, acceptez d'être réconciliés avec Dieu…

 

 

 

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