
Jézabel. Women of the Bible (photo © Dikla Laor).
Jézabel la perfide
Anne-Marie Chapleau | 4 mars 2024
Lire : 1 Rois 6,21 ; 18,1–19,2 ; 21,4-26 ; 2 Rois 9,30-37
S’il y avait un prix pour le plus mauvais roi d’Israël, Achab aurait des chances de l’emporter. Quoique… cela dépendrait bien entendu des critères utilisés pour évaluer sa performance. Les historiens, par exemple, pourraient dire que ce roi qui régna sur le Royaume du Nord de 874 à 853 serait totalement disqualifié puisqu’il a su assurer la prospérité et la sécurité de son peuple. Pour les livres des Rois, cependant, c’est entendu : Achab était un impie ! Il a constamment pataugé dans l’impiété, l’idolâtrie et l’injustice.
Mais cela s’explique facilement, du moins selon les textes bibliques : « car il prit pour femme Jézabel, fille d’Ethbaal, roi des Sidoniens, et il alla servir Baal et se prosterner devant lui » (1 R 6,31) ; « Il n’y eut personne comme Achab pour agir en fourbe, faisant ce qui déplaît au Seigneur, parce que sa femme Jézabel l’avait séduit » (1 R 21,25). En résumé, c’est la faute de Jézabel !
Massacre pour massacre…
Mais avant de lui jeter trop vite la pierre, certains faits doivent être considérés. Les versets cités ci-dessus nous ont appris qu’elle était une princesse phénicienne qui avait eu le tort de conserver son attachement aux divinités de son peuple. Si les livres des Rois avaient été écrits par des adeptes des mêmes cultes, ils auraient sûrement loué son zèle. Ils auraient célébré sa détermination à éliminer les prophètes du Seigneur Dieu (1 R 18,4.19), ce que, pour notre part, nous conduirait à la désigner comme la « cruelle Jézabel ». Mais alors, pour être impartial, il nous faudrait aussi parler du cruel Élie. De son côté, en effet, le prophète du Seigneur avait fait égorger tous les prophètes de Baal (1 R 18,40). En termes de cruauté, c’est match nul, pourrions-nous dire.
La vraie nature de Jézabel
Mais ce que fut Jézabel ne peut se résumer aux actions que lui dictaient ses convictions religieuses. Il y a autre chose. L’épisode de la vigne de Nabot (1 R 21,1-16) jette un nouvel éclairage sur la question. À voir tous les jours la magnifique vigne qui s’étalait sous ses fenêtres, Achab avait fini par ressentir une envie folle d’en devenir propriétaire. C’est un peu le principe repris plus tard par la publicité : susciter le désir en nous bombardant d’images séduisantes. Achab s’en fut donc proposer à Nabot, le propriétaire de ladite vigne, un marché honnête : « ta vigne contre une autre équivalente » (v. 2). Mais Nabot refusa tout net : pour lui la vigne n’était pas un bien quelconque, un objet qu’on peut échanger contre un autre. C’était l’héritage de ses pères (v. 3). En d’autres mots, cette terre et les vignes qu’elle faisait fructifier étaient un don de Dieu dont il fallait prendre soin avant de le transmettre à la génération suivante. La vigne était au cœur d’un réseau relationnel ! Un peu piteux de ne pas avoir obtenu ce qu’il voulait, Achab retourna bouder dans son palais. Informée de ce qui causait la prostration de son royal époux, Jézabel décida de prendre les choses en main. Elle démontra ainsi qu’elle avait bien plus de caractère que lui. Elle eut vite fait d’inventer une fausse accusation contre Nabot et de truquer son procès pour que l’issue lui en soit fatale. Nabot fut lapidé hors de la ville et Jézabel put, triomphante, annoncer à son époux qu’il ne lui restait plus qu’à faire le tour du propriétaire de sa nouvelle vigne.
Jézabel avait ainsi révélé sa vraie nature : intelligente et inventive, certes, mais surtout perfide et totalement dénuée de compassion ou de respect pour qui osait s’opposer à ses sinistres desseins.
Dévorée par les chiens et les oiseaux
Évidemment, le Seigneur ne l’entendait pas de cette oreille et eut tôt fait de dépêcher Élie chez Achab pour l’avertir des sanctions à venir. La pire visait Jézabel, condamnée à mourir et à subir l’infamie de ne pas avoir de sépulture, son cadavre étant voué à être dévoré par les chiens et les oiseaux (v. 23-24). Cela se réalisa un certain temps plus tard (2 R 9,30-37) et on ne retrouva d’elle que « le crâne, les pieds et les mains » (v. 35). Ce funeste destin dit sans doute que d’une femme dépourvue de cœur et de sensibilité, il ne pouvait subsister que de maigres restes ; fini le pouvoir malfaisant (tête) et les moyens de l’accomplir (mains et pieds) !
Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.
