Chute de Banyas (rndms / 123RF)

Banyas dans la région de Césarée de Philippe

Claire BurkelClaire Burkel | 7 décembre 2020

Dans l’extrême nord du pays, les pèlerinages effectuent souvent deux visites l’une à la suite de l’autre : Dan et Banyas. Si Dan est une des sources principales du fleuve Jourdain (100 m3/s), Banyas en est une fort abondante (20 m3/s). Dan est un lieu fortement rattaché à l’Ancien Testament, Banias, sa voisine – 3 km les séparent – intéressera surtout le lecteur du Nouveau Testament. Pourtant le site n’est jamais clairement nommé dans les Évangiles. Matthieu et Marc nous parlent de « la région de Césarée de Philippe ». Faute de précisions, c’est là cependant que le pèlerin peut lire une des pages les plus décisives du ministère de Jésus.

Nous sommes proches d’une triple frontière – Liban, Syrie et Israël – ce dernier n’ayant conquis le territoire que lors de la guerre des Six jours (5-10 juin 1967). Pour les tribus israélites, selon le livre de Josué, c’est le territoire de Dan établi en Gaulanitide, le Golan actuel, au pied du mont Hermon. La ville de Panias fut fondée en 198 av. J.-C., en pleine période hellénistique, auprès d’un sanctuaire dédié au dieu Pan, protecteur des sources, des troupeaux et des bergers. Le nom fut déformé en Banias, et même Belinas par les Croisés. Éloignée de Jérusalem, elle était un point stratégique sur la route de Damas à Tyr. Auguste (27 av. J.-C. à 14 ap. J.-C.) avait offert la cité et toute sa région à Hérode le Grand. Pour plaire à l’empereur, le tétrarque Philippe qui, à la mort de son père Hérode le Grand, s’était vu attribuées les terres les plus septentrionales, Hauran, Gaulan, Trachonitide, Batanée et le district de Panias, la baptisa Césarée de Philippe. Son père le grand bâtisseur, avait édifié un temple à Auguste, tout paré de marbre blanc, dont seules cinq niches et quelques inscriptions dédicatoires, sans le marbre qui en a été retiré, témoignent encore des cultes adressés à Zeus, Athéna, Aphrodite, et aux nymphes Némésis et Écho. Et comme les traditions festives sont tenaces, Eusèbe au IVe siècle, mentionne qu’on y célèbre encore certaines fêtes. À cette époque byzantine la communauté chrétienne est assez importante pour avoir un évêque, Philocalos, qui participe au concile de Nicée en 326.

temple de Pan

Le temple du dieu Pan (Ryszard Parys / 123RF)

La ville n’est pas reconnue comme lieu de pèlerinage car aucun fait de la vie de Jésus n’y est attesté, et le pèlerin d’aujourd’hui ne verra plus rien de la grande cité grecque, puis romaine, lieu de villégiature pour les armées impériales, forteresse croisée en 1129. Les fouilles archéologiques n’ont commencé qu’en 1988 pour découvrir des colonnes qui encadraient l’entrée de l’immense grotte d’où jaillissait la source et dégager les fondations d’une basilique civile romaine. En 2000 apparurent le cardo, toujours l’axe nord-sud d’une cité grecque, et un palais ; on mit au jour plusieurs monnaies aux effigies de Philippe (environ 25 av. J.-C. à 34 ap. J.-C.) et d’Agrippa II son petit-neveu (27-93). Celui-ci voulut honorer Néron en renommant sa capitale Néronias, mais la concurrence de Pan était trop fortement ancrée.

Banyas

Le palais d’Hérode Agrippa II (Wikimedia).

Quand on aura admiré l’ampleur du site, la grotte et plusieurs escaliers qui la contournent, on ira profiter des ombrages des saules du bord de l’eau et des peupliers, des térébinthes et des figuiers odorants dans les aires de pique-nique et les petits amphithéâtres aménagés pour les visiteurs, pour retrouver Jésus et ses disciples. Il les interroge sur ce que l’on dit de lui : « Au dire des gens qui suis-je? » (Mt 16,13) Il lui est nécessaire de faire le point après plusieurs mois de ministère en Galilée. La question rejoint d’ailleurs les interrogations de ceux qui venaient auprès de Jean Baptiste (voir Jn 1,21). Et c’est encore le prophète Élie qui est évoqué en premier, car selon la tradition cette grande figure prophétique du VIIIe siècle viendra précéder le Messie. Et l’attente est forte en ces temps d’occupation étrangère et de troubles populaires à répétition. Jésus a pourtant révélé que Jean était l’Élie précurseur (Mt 11,14), mais les réponses de ses disciples montrent que nul n’en a tenu compte. Alors il demande plus avant : « Vous, que dites-vous que je suis? » C’est Pierre qui donne la formulation de foi la plus aboutie : « Tu es le Messie, le fils du Dieu vivant ! » (Mt 16,16) Alors Jésus est fixé ; voilà le signal que Jésus, enfin reconnu comme Christ, attendait du Père pour la poursuite de sa mission. C’est ce que nous indique Mt 16,21 : « À dater de ce jour Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait monter à Jérusalem… »

La suite n’est pas très favorable à Pierre l’audacieux, pourtant bien inspiré et docile à la Révélation de Dieu un instant auparavant, car ce qu’il croit savoir du messie ne s’accorde pas avec ce qu’annonce Jésus : de la souffrance, la mort décidée par les autorités religieuses, même si Jésus a dit qu’il « serait réveillé » – le mot de Résurrection n’est pas encore entré dans le vocabulaire et encore moins dans une conception théologique.

Banyas

(photo : Wikimedia).

Qu’en est-il donc de Pierre ? Il lui est dit : « Tu es heureux Simon fils de Iona ». La béatitude est-elle destinée à nous informer de son ascendance? Un passage de l’Ecclésiastique, le livre du Siracide, va nous éclairer, car Jésus, si familier de l’Écriture, parle avec ses mots. « C’est Simon fils de Iona le grand-prêtre qui pendant sa vie répara le temple et durant ses jours fortifia le sanctuaire… soucieux d’éviter à son peuple la ruine, il fortifia la ville pour les cas de siège. » (Si 50,1-4) Entendu avec Is 22,22 : « Je mettrai la clé de la maison de David sur son épaule, s’il ouvre, personne ne fermera, s’il ferme, personne n’ouvrira », et Is 28,16 : « Je vais poser en Sion une pierre, pierre de granit, pierre angulaire, précieuse, pierre de fondation bien assise. » Voilà qui explicite le nouveau nom et la mission de Pierre en résonance avec les paroles de Jésus : parce qu’il a été à l’écoute du Père, qu’il a prêté sa bouche à la Révélation, il sera chargé de la maison du peuple que le Christ appelle « mon Église » ; à lui de la réparer, la fortifier, la protéger des vents mauvais qui ne vont pas manquer de l’assaillir.

Le tournant chronologique est encore renforcé par l’épisode suivant qui comporte, lui aussi, une mention de date : « Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène sur une haute montagne. » (Mt 17,1). Est-ce l’Hermon lui-même qui culmine à 2814 m, ou l’une des hauteurs de son vaste massif? Le groupe est sans doute resté dans les confins nord d’Israël, situation choisie par Jésus pour se tenir à l’écart de la juridiction d’Hérode Antipas qui gouverne la Galilée et l’a déjà inquiété (voir Mt 14,1-3). La scène de la Transfiguration se déroule probablement lors de la fête automnale de Sukkot – fête des cabanes ou des tentes – Pierre proposant tout naturellement à Jésus de monter pour lui, Élie et Moïse qui l’accompagnent, trois tentes afin de demeurer pour ces jours de joie en leur présence. La fête est justement précédée d’une semaine par le Jour du Pardon, Yom Kippour, seul jour de l’année où le grand-prêtre entre solennellement dans le Saint des saints du temple de Jérusalem, encense la pièce vide et prononce pour le bien du peuple le saint nom du Seigneur Dieu. C’est exactement ce qui s’est passé six jours avant lorsque Pierre, à proximité d’un autre sanctuaire, a révélé le nom de Jésus.

Ce que veut nous faire comprendre l’évangéliste Matthieu dans la composition très fine de ce passage, c’est que Pierre est intimement lié à Jésus dans la mission, chacun révélant l’autre, dans un jeu de questionnements sur leur identité profonde. Pierre est maintenant reconnu comme le pontife du peuple que Jésus va bientôt baptiser dans sa mort et sa Résurrection ; il devient l’égal du grand-prêtre en exercice à Jérusalem, comme de Simon l’ancien cité par le Siracide. Tant qu’il sera fidèle à la Parole du Père, obéissant à l’Esprit, joyeux dans ses initiatives, il fortifiera l’Église. S’il fait obstacle au dessein de Dieu, par incompréhension ou ambition personnelle, il sera comme un satan, un aveugle qui guide d’autres aveugles, et le peuple se trouvera sans berger. Mais Pierre est « posé » par Jésus qui lui donne à cet instant le nom de sa vocation, toujours en référence à l’Écriture. Le Fils est tout obéissant au Père, il ne reçoit sa mission que du Père.

C’est à Banyas que nous pouvons passer cette heure délicieuse à méditer les textes de fondation de l’Église et de la lumineuse Transfiguration. Tout pèlerin du peuple de Dieu entend ici la Révélation de son histoire. Un lieu à l’écart qui, même s’il n’est pas authentifié comme tel, invite à la relecture de la trajectoire de Pierre et de la décision de Jésus de conclure le ministère galiléen afin de se tourner résolument vers Jérusalem (voir Lc 9,51). 

Claire Burkel est professeure d’Écriture sainte à l’École cathédrale de Paris.

Source : Terre Sainte magazine 663 (2019) 6-11 (reproduit avec autorisation).

Caravane

Caravane

Initiée par Chrystian Boyer, cette chronique a été ensuite partagée par plusieurs chroniqueurs. Messieurs Boyer et Doane livrent leur carnet de voyage en Terre Sainte. Ensuite, une série d’articles met en scène un personnage fictif du premier siècle qui raconte ses voyages dans les villes où saint Paul a entrepris ses voyages missionnaires. Et plus récemment, la rubrique est alimentée grâce à une collaboration de Terre Sainte magazine.

monnaie

Monnaie trouvée à Banyas

Hérode IV Philippe. Monnaie frappée à Banyas sous le règne de Tibère (14-37 de notre ère). Æ 17 mm. Buste de Tibère (avers) ; temple tétrastyle (revers) et date entre les colonnes correspondant à 30-31 de notre ère.

(photo : Wikimedia)