Jonas II (détails). Marc Chagall, 1972. Lithographie, 33,5 x 25,9 cm (Marché des arts).

Jonas, un migrant en mission

Martin BelleroseMartin Bellerose | 15 avril 2024

La parole du Seigneur s’adressa à Jonas, fils d’Amittaï : « Lève-toi ! va à Ninive la grande ville et profère contre elle un oracle parce que la méchanceté de ses habitants est montée jusqu’à moi. » (Jonas 1,1-2)

Ainsi débute le livre de Jonas, par un envoi du prophète chez les païens pour leur livrer un message du Seigneur Dieu. Mais Jonas fuira, au lieu d’aller vers Ninive, il prendra la mer. Lorsqu’il se retrouvera enfin à Ninive, ses habitants accueilleront positivement le message du Seigneur et ils seront épargnés du châtiment de Dieu, ce qui fait entrer Jonas dans une intarissable colère.

L’histoire de Jonas en bref

Lorsque Dieu appela Jonas pour aller chez les Ninivites, ce dernier s’est enfui, il prit la mer pour Tarsis. Le Seigneur envoya donc un vent violent, une énorme tempête sur la mer (Jon 1,4). Les marins qui se trouvèrent abord du bateau avec Jonas étaient tous de nations différentes, chacun ayant leurs croyances et leur dieu.  Ils prièrent leurs dieux, mais en vain. Jonas était caché au fond de la cale sans prier et sans invoquer son Dieu, le Seigneur Dieu. Jonas dit aux marins :

 « Hissez-moi et lancez-moi à la mer pour qu’elle cesse d’être contre vous ; je sais bien que c’est à cause de moi que cette grande tempête est contre vous. » Cependant les hommes ramaient pour rejoindre la terre ferme, mais en vain : la mer de plus en plus démontée se déchaînait contre eux. Ils invoquèrent donc le Seigneur et s’écrièrent : « Ah ! Seigneur, nous ne voulons pas périr en partageant le sort de cet homme. Ne nous charge pas d’un meurtre dont nous sommes innocents. Car c’est toi Seigneur qui fais ce qu’il te plaît. » Les hommes hissèrent alors Jonas et le lancèrent à la mer. Aussitôt la mer se tint immobile, calmée de sa fureur. Et les hommes furent saisis d’une grande crainte à l’égard du Seigneur, lui offrirent un sacrifice et firent des vœux. (Jon 1,12-16)

C’est là que Jonas séjourna dans le ventre d’un poisson et qu’il pria le Seigneur Dieu pour qu’il vienne le sauver. Une fois que le poisson l’eût vomi sur la terre ferme, le Seigneur s’adressa pour une deuxième fois à Jonas et l’envoya à Ninive et cette fois-ci, Jonas lui obéit. Jonas avertit la ville de ce qu’il leur arriverait s’ils n’obéissaient pas à Dieu. Ninive a obéi à Dieu. « Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas. » (Jon 3,10)

Jonas le prit mal, très mal, et il se fâcha. Il pria le Seigneur et dit : « Ah ! Seigneur ! n’est-ce pas précisément ce que je me disais quand je vivais sur mon terroir ? Voilà pourquoi je m’étais empressé de fuir à Tarsis. Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal. » (Jon 4,1-2)

Il semble que le fait que Ninive fut sauvé du châtiment eût mis Jonas dans une grande colère. Comment cela est-il possible pour un croyant?  Ne souhaiterait-il pas que les autres peuples reconnaissent son Dieu comme étant le vrai seul Dieu?

La mission d’un étranger

Aujourd’hui, le croyant immigrant qui arrive au Québec, ou en tout autre pays d’accueil, se trouve dans une position semblable à celle de Jonas avec un rôle potentiel pour la « réévangélisation » des natifs de l’endroit, mais un rôle qui parfois, au fond de soi-même, on souhaiterait secrètement éviter. Malgré sa réticence à servir son Dieu, Jonas a eu une influence tant chez les marins du premier chapitre, que chez les Ninivites du troisième.

Dans aucun cas, Jonas n’est arrivé en voulant s’imposer, mais le message qu’il portait a eu ses effets chez les Ninivites. Il est en effet tentant pour les personnes vivant au Québec de voir dans chaque immigrant chrétien un Jonas potentiel, qui agirait en une sorte de sauveur, qui nous réévangéliserait. Mais peut-on imposer une telle tâche à tous ceux qui viennent ici, n’ont-ils pas aussi, comme Jonas, le droit de refuser la mission que nous voudrions leur imposer, comme si notre volonté était nécessairement aussi celle de Dieu? 

Jonas… un modèle missionnaire

À première vue, Jonas semble abdiquer devant la mission que Dieu lui donne. On en vient à croire qu’il fuit la mission que le Seigneur lui attribut. Plus encore, Jonas semble incommodé par le fait que les Ninivites acceptent et croient le message qu’il leur apporte et qu’ils agissent en conformité avec la volonté de Dieu.

Et si c’était là un modèle « missionnaire » à suivre? Dans les faits, Jonas est aux antipodes du « bon missionnaire » qui accepte « humblement » la mission que Dieu lui donne et auquel il obéit afin d’apporter la vérité à des mécréants qui ne la connaissent pas et ainsi les sauver. N’est-ce pas ainsi que se présentent les missionnaires, comme des sauveurs (soyons honnêtes avec nous-mêmes)? Rien de moins.  N’est-ce pas dans ces traits contraires à Jonas que les missionnaires se sont historiquement, souvent, avérés davantage au service de la mission civilisatrice que de la mission évangélisatrice? Le « bon missionnaire » contribue au colonialisme, consciemment ou non, par son attitude de celui qui sait tout, sa conviction qu’il doit convertir l’autre et qu’il possède la vérité – un reflet de sa compréhension de la vérité, sans plus.

En fait, Jonas se refuse à se présenter comme envoyé de Dieu auprès des marins et pourtant ils confesseront Dieu, le seul vrai, à cause de lui. Il se refuse à convertir le Ninivites, pourtant ils croiront son message. Contrairement aux « bons missionnaires » généreux qui font le bien et se jactent de leur bonnes actions, Jonas refusent de se sentir satisfait et au-dessus des autres. N’avons-nous pas avec ce prophète un modèle qui remet en question le missionnaire prétentieux et suffisant?

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.