Les vignerons homicides. Speculum humanæ salvationis, manuscrit de 1360 (Wikimedia).

Être de la nation qui produit des fruits

Odette MainvilleEn collaboration | 27e dimanche du Temps ordinaire (A) – 8 octobre 2023

Parabole des vignerons meurtriers : Matthieu 21, 33-43
Les lectures : Isaïe 5, 1-7 ; Psaume 79 (80) ; Philippiens 4, 6-9
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

 Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple : voici la clef de lecture de notre récit biblique. En chemin vers la passion, la mort et la résurrection, Jésus affronte ses ennemis : le sanhédrin, formé de grands propriétaires terriens et des hommes du temple. Bref, ce « 1 % de la population ». Avec cette parabole dite des vignerons assassins, ses interlocuteurs ne pourront que bien se reconnaître.

Les communautés de Matthieu

En mettant en scène Jésus et cette petite élite politique, économique et religieuse de l’époque, Matthieu fait écho également aux tensions qui existent vers les années 70 et 80 entre les « Christiens » et la religion juive.

Comment réanimer l’Évangile dans une communauté qui vit une grande crise ? Crise de la réorganisation du judaïsme avec ses tensions entre les disciples de Jésus et les pharisiens ainsi que les conséquences de la rupture entre les synagogues et les différentes communautés chrétiennes.

En effet, en 70, Jérusalem est détruite par l’armée romaine : disparaissent sadducéens, zélotes et esséniens. Restent les pharisiens et les communautés judaïques de la diaspora organisées autour des synagogues.

En 85, on réunit à Jamnia ce qui reste du sanhédrin : on veut centrer la religion autour du culte dans les synagogues et de l’observance fidèle de la Loi de Moïse (loi morale de pureté et de séparation des païens). C’est ce qui a permis la survie du judaïsme jusqu’à aujourd’hui. On interdit la traduction grecque des Écritures (la Septante) en ne reconnaissant que les versions en hébreu : les communautés chrétiennes utilisaient la version grecque des Écritures. Également, on expulse du culte des synagogues les courants contraires aux enseignements des pharisiens, dont les disciples de Jésus de Nazareth, ces Juifs qui avaient accepté Jésus comme Messie tant espéré (Mt 10,17-18.21). Ces derniers sont convaincus que Jésus, la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs et qui est devenue la pierre d’angle est le cœur de toute l’Histoire du peuple depuis l’appel d’Abraham. Il leur faut donc redéfinir l’expérience de foi chrétienne face au judaïsme.

On en arrive donc à un point de rupture qui entraîne une crise politique et religieuse avec les autorités religieuses juives et l’Empire romain : vivre la foi en Jésus Christ étant considéré comme un crime contre l’État romain dans un monde où la culture gréco-romaine occupait tout l’espace.

N.D.L.R. Un paragraphe du texte original a été supprimé ici pour des raisons théologiques, le 5 octobre 2023.

Et nous ?

Aujourd’hui, nous vivons bien loin de cette conjoncture de crise avec les autorités de l’Empire romain et la réorganisation du judaïsme. Pourtant, cet homme qui planta une vigne (symbole dans la Bible du peuple d’Israël) nous renvoie à cette page du livre de la Genèse : Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden » (Gn 2,8). Cette vigne, ce jardin, ne pourraient-ils pas représenter le projet du Dieu de Jésus Christ pour sa création ?

Les sanhédrins modernes

Aujourd’hui, cet « héritage » est pris en otage par les grands propriétaires des moyens de production et les hommes des temples de la sacro-sainte consommation moderne : c’est l’exploitation des humains et des ressources de la planète, la production d’une classe de sans voix et d’appauvri.e.s dont le droit de vivre dignement n’est pas reconnu. C’est la grande crise que l’humanité se doit d’affronter aujourd’hui : environnementale, économique et sociale. Or le projet du Dieu libérateur n’est pas celui des « 1 % de la population » ; l’économie n’est pas au-dessus de tout. Il est donc urgent de redéfinir notre expérience de foi pour qu’elle devienne signifiante face à l’urgence écologique de notre époque en révélant les conflits qui gangrènent le tissu social et les richesses de la création.

Que font ces sanhédrins modernes ? Ils ne tuent ni ne lapident, mais leurs projets s’avèrent tout aussi mortifères. À l’encontre des appels de la science et de l’ONU, banques et compagnies pétrolières et gazières continuent d’investir dans les projets d’énergies fossiles à l’origine des extrêmes climatiques toujours plus intenses et plus fréquents que sont les sécheresses, les inondations, les cyclones et ouragans, les feux de forêts qui sèment la mort et qui laissent des populations entières dans le dénuement et la misère. Ils se saisissent des discours des « serviteurs-prophètes » d’aujourd’hui que sont Équiterre, la Fondation David Suzuki, Greenpeace, Eau Secours, la Fondation Rivières, Mères au Front, Greta Thunberg et les jeunes écologistes, pour les déformer et les discréditer, quand ils ne sont pas eux-mêmes à l’origine de la désinformation. Dans certains pays caractérisés par une corruption répandue, ils vont même jusqu’à assassiner carrément. C’est ainsi qu’ils prennent en otage le projet d’un Dieu créateur et libérateur.

Ce projet du Dieu des prophètes est universel, il n’appartient plus à une Église exclusivement, mais fédère toutes les personnes et organismes qui prennent la parole pour dénoncer l’exploitation des ressources et des personnes. Le Dieu de Jésus nous a confié une vigne, un jardin. Il l’avait si bien protégé ! « Qu’en avez-vous donc fait ? »

 « Le déni de l’évidence »

Ce poème du groupe musical Mes aïeux reflète bien notre dilemme :

Tout le monde le sait, mais personne veut le voir pour l'instant
Je veux pas m'en faire
Tu veux pas t'en faire maintenant
Tout le monde le sait ce qu'il nous faudrait faire maintenant
Je veux pas m'en faire
Tu veux pas t'en faire maintenant
Tout le monde le sait ce qui nous faudrait faire, mais pour l'instant
On danse la danse du déni de l'évidence
On danse la danse du déni de l'état d'urgence

Tactique, politique économique et sans éthique
Cynique et pis apathique, on décide qui est apathique
On danse la danse du déni de l'évidence
On danse la danse du déni de l'état d'urgence

Change la cadence, faut se rendre à l'évidence
Qu'on tente ensemble la danse de la dernière chance [1]

C’est peut-être David contre Goliath, mais rappelons-nous que, dans le récit biblique, c’est David qui gagne. Pour cela, nous devrons développer des moyens concrets dans nos villes et nos régions.

Même à bout de souffle, « le bleu de la confiance » renaît de cette promesse : Le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. Puissions-nous être de cette nation !

Denis Plante pour la Commission engagement et foi du Mouvement des travailleuses et travailleurs chrétiens du Québec (MTC) : Serge Généreux, Pierre Prud’homme, Denis Plante, Marc Alarie, Louise Condrain.

[1] Mes Aïeux, extraits de la chanson « Le déni de l’évidence », album La ligne orange (Disques Victoire, 2008).

Source : Le Feuillet biblique, no 2815. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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