Ascension du Christ (haut du tableau). Dosso Dossi, c. 1500-1542.
Huile sur panneau, 128 x 95,5 cm (Wikipédia).
Mission accomplie pour Jésus, envoi en mission pour les apôtres
Lorraine Caza | Ascension du Seigneur (B) – 12 mai 2024
L’envoi en mission : Marc 16, 15-20
Lectures : Actes 1, 1-11 ; Psaume 46 (47) ; Éphésiens 4, 1-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
C’est dans la seconde moitié du 4e siècle qu’est apparue, dans l’Église la fête de l’Ascension du Seigneur. Déjà au 5e siècle, toutes les Églises la célèbrent. En cette année B du cycle liturgique, nous avons, en première lecture, le début du second livre de Luc, Actes 1,1-11. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les trois années A, B et C, maintiennent ce récit de l’Ascension, en première lecture. C’est la finale du texte de Marc (16,15-20) qui est choisie comme lecture évangélique pour cette année B. Avec bon nombre d’exégètes, nous pensons que Mc 16,9-20 est un ajout à cet évangile, un ajout qui constitue un résumé des apparitions du Ressuscité. On ne peut prouver que ces douze derniers versets sont de Marc, mais nous affirmons avec Swete, qu’il s’agit d’une « relique authentique de la première génération chrétienne ». Mc 16,19-20 s’inspire certainement de Lc 24,51. Avec les évocations de « Celui qui est monté aux cieux et qui en était déjà descendu jusqu’en bas sur la terre », on comprend que Éphésiens 4,1-13 ait été retenu comme choix de seconde lecture pour notre dimanche.
Concentrons notre attention sur Mc 16,15-20 sans oublier le récit du début des Actes. Ces versets de Mc 16 présentent d’abord l’envoi dans le monde entier des Onze par Jésus-Ressuscité. Cet envoi est très proche de la finale Matthieu 28,18-20) avec un élargissement de l’envoi à toute la création. Vient ensuite la déclaration du salut accordé à qui croit et est baptisé. Suit une énumération des signes qui accompagnent la mission des croyants. « Au nom de Jésus, ils chassent les esprits mauvais ; ils parlent un langage nouveau ; ils prennent des serpents dans leurs mains ; s’ils boivent un poison mortel, ils ne sont pas affectés ; ils imposent les mains aux malades qui s’en trouvent bien. » C’est la toute fin de ce texte qui évoquera l’Ascension. Ayant parlé aux disciples, « le Seigneur fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. Quant aux disciples, eux, ils vont proclamer partout la Bonne Nouvelle, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant leur parole par les signes qui accompagnent ».
Dans cette évocation succincte de l’Ascension, certains éléments concernant Jésus sont mis en relief : Le Seigneur est enlevé au ciel ; il s’assit à la droite de Dieu. Les disciples sont décrits comme s’en allant proclamer partout la Bonne Nouvelle, mais, du Seigneur, il est aussi affirmé qu’il travaille avec eux et confirme leur parole par des signes.
L’enlèvement au ciel
L’Ascension est présentée en Mc 16,19 comme l’enlèvement au ciel du Seigneur Jésus. Ac 1,3 utilise la même expression et, quelques versets plus loin, l’auteur affirmera que sous les regards des disciples, « Jésus s’éleva et une nuée le déroba à leurs yeux ». Au verset 11 du même texte des Actes, seront attribuées aux deux hommes vêtus de blanc les paroles suivantes : « Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, viendra comme cela, de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel ». L’Ascension évoque une montée avec une expression comme s’en aller vers le ciel, être enlevé vers le ciel, mais il implique aussi une séparation, un départ.
La session à la droite de Dieu
Qu’implique le fait d’ajouter que le Seigneur s’assoit à la droite de Dieu. Peut-être faut-il s’arrêter au verbe « asseoir » et à la précision « à la droite de ». Asseoir renvoie à la permanence, le pour toujours. Être à la droite renvoie au tout début du psaume 110 : « Oracle du Seigneur à mon Seigneur : Siège à ma droite; tes ennemis, j’en ferai ton marchepied ». Le Seigneur est donc en permanence dans la proximité de Dieu. J’aime bien le commentaire de Benoît XVI, dans son livre Jésus de Nazareth : « Cette proximité est, d’une part, l’indice de la faveur de Dieu, source de gratification pour le Christ, permettant l’exercice d’un pouvoir, sous l’aspect d’intercession et d’intervention en faveur des hommes ; d’autre part, cette proximité entraîne une communion à la condition de Dieu – transcendance allant jusqu’à l’égalité et unité de nature – et aux prérogatives de Dieu, donc à son pouvoir de présence et à ses dons aux hommes (= seigneurie et domination universelle). Être à la droite de Dieu implique bien une fonction, un pouvoir divin qui s’exerce triplement :
- a) par la présence et les dons notamment du Saint-Esprit faits aux hommes (Ps 68,19)
- b) par une intervention et une intercession auprès de Dieu en faveur des hommes (Ac 7,55 ; Rm 8,34 ; voir Hb 8, 1 et 10,14).
- c) par une domination sur l’Église et l’univers (Ep 1,20-22; 1 P 3,21s). »
Ascension du Christ (bas du tableau). Dosso Dossi, c. 1500-1542.
Huile sur panneau, 128 x 95,5 cm (Wikipédia).
La nuée qui soustrait aux regards
Peut encore nous éclairer sur la réalité du mystère de l’Ascension, l’évocation de la nuée qui nous est donnée en Ac 1,9 : Quand il eut dit cela, ils le virent s’élever ; puis une nuée vint le soustraire à leurs regards. Ici encore, la réflexion de Benoît XVI dans Jésus de Nazareth est vraiment éclairante :
« La nuée n’est pas un espace cosmique lointain où Dieu aurait érigé son trône sur lequel il aurait donné une place à Jésus. Dieu ne se trouve pas dans un espace à côté d’autres espaces. Dieu est Dieu. Il est le présupposé et le fondement de toute spatialité existante, mais il n’en fait pas partie. Le rapport de Dieu avec tous les espaces est celui du Seigneur et du Créateur. Sa présence n’est pas spatiale mais, justement, divine. Siéger à la droite de Dieu signifie une participation à la souveraineté propre de Dieu sur tout espace.
Le Jésus qui prend congé ne s’en va pas quelque part sur un astre lointain. Il entre dans la communion de vie et de pouvoir avec le Dieu vivant, dans la situation de supériorité de Dieu sur la spatialité. Pour cela, il n’est pas « parti », mais en vertu du pouvoir même de Dieu, il est maintenant toujours présent à côté de nous et pour nous… Maintenant, il ne se trouve plus dans un lieu particulier du monde, comme avant l’Ascension; maintenant, dans son pouvoir qui surpasse toute spatialité, il est à côté de tous et tous peuvent l’invoquer – à travers toute l’histoire - et en tous lieux ».
Dans Éphésiens 4, 1-13, Paul se réfère à l’Ascension
Dans la parénèse de sa Lettre aux Éphésiens, on ne s’attend pas à trouver cette évocation de la montée du Seigneur au plus haut des cieux pour combler tout l’univers suivie de la référence à la descente antérieure jusqu’en bas sur la terre, et donc à l’Incarnation. Bien sûr, c’est cette évocation de la montée et de la descente qui explique que le texte a été retenu dans la liturgie de l’Ascension. La vie du croyant (Ep 4,1-7) et celle de la communauté chrétienne, de l’Église (Ep 4,11-16) sont ainsi merveilleusement situées face à tout le mystère du Christ, depuis son Incarnation jusqu’à son exultation (Ep 4,8-10).
Une spiritualité de l’Ascension ?
Aux dernières pages de son ouvrage De Luc à Théophile, Marc Girard identifie deux traits d’une spiritualité de l’Ascension : spiritualité de l’action ; spiritualité du mystère.
…de l’action parce qu’« entre l’Ascension–Séparation et le retour du Christ à la fin des temps, l’Église, en communion avec son Seigneur présent mais invisible, a le champ libre…elle doit se retrousser les manches et contribuer à bâtir ici-bas le monde nouveau, déjà en germe et en croissance ».
…du mystère parce qu’il y a beaucoup plus de brouillard et de nuages que de visibilité dans toute vie spirituelle. L’invisibilité du Christ exprime bien « le respect du Christ pour notre liberté et pour notre capacité de progresser. Elle dit sa confiance en la valeur et en l’efficacité de nos engagements [2] ».
Membre de la Congrégation de Notre-Dame, Lorraine Caza est bibliste et professeure honoraire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa).
[1] Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2011, 430 p.
[2] Marc Girard, De Luc à Théophile. Un évangile fait sur mesure pour notre temps, Médiaspaul (Parole d'actualité, 8), 1998, p. 351s.
Source : Le Feuillet biblique, no 2846. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.