Jésus guérissant un lépreux. Melchior Doze, 1864. Huile sur toile (Wikipédia).

Une guérison qui en dit long!

Patrice BergeronPatrice Bergeron | 6e dimanche du Temps ordinaire (B) – 11 février 2024

Jésus guérit un lépreux : Marc 1, 40-45
Les lectures : Lévitique 13, 1-2.45-46 ; Psaume 101 (102) ; 1 Corinthiens 10, 31–11,1
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Les douloureux souvenirs de la pandémie de Covid-19 sont encore frais à notre mémoire. Devant ce virus potentiellement tueur encore inconnu et pour lequel la science n’avait pas encore développé de défense, il fallut adopter des mesures de protection contraignantes, donnant lieu à des scènes des plus tristes (distanciation sociale, isolement des patients atteints mourant seuls, interdiction de rassemblement, couvre-feu, etc.).

La prudence devant une maladie infectieuse commande parfois l’isolement des personnes contagieuses. Tel était le sort des lépreux de l’Antiquité juive. Ne sachant comment traiter la lèpre, à l’époque, la Loi de Moïse avait statué d’un protocole d’exclusion sociale des personnes atteintes pour protéger la population générale. L’extrait du livre du Lévitique, en première lecture de ce dimanche, nous le résume bien. Ajouter à cela que la théologie juive de l’époque associait la maladie à un péché commis, le sort des lépreux était donc particulièrement cruel : stigmatisation d’impureté morale, exclusion sociale, religieuse et mal physique.

Telle est la situation de ce lépreux qui s’approche illicitement de Jésus dans notre évangile dominical. Le lépreux et Jésus enfreignent la Loi, par un rapprochement et un contact physique. Rappelons que nous sommes au tout début de l’Évangile de Marc, le ministère public de Jésus en Galilée ne fait que commencer et après une seule journée de ministère à Capharnaüm, sa réputation de guérisseur et d’exorciste se répand déjà à grande vitesse (Mc 1,37). La proclamation publique que le lépreux fera de sa guérison accroîtra davantage la popularité de Jésus et sa gêne à entrer désormais dans des endroits publics, tel que l’atteste le petit sommaire qui clôt l’épisode.

Un acte de Dieu…

À l’époque, on considérait aussi improbable d’être purifié de la lèpre que de ressusciter d’entre les morts, deux actes miraculeux qu’on attribuait directement à Dieu seul. Cette purification de la lèpre devait être constatée par les prêtres du temple de Jérusalem afin de lever l’impureté qui isolait le lépreux guéri et le rétablir au sein de la société civile et religieuse. À noter également que le judaïsme considérait la purification des lépreux (de même que la résurrection des morts) comme un signe associé à l’arrivée du Messie par lequel Dieu agirait avec bienveillance envers son peuple (Mt 10,8 ; 11,5).

L’acte de guérison que pose ici Jésus le compromet, le dévoile. Avec Jésus, s’approche indéniablement le Règne de Dieu et puisqu’un de ces signes miraculeux réservés à Dieu s’accomplit par lui, cela le qualifie sérieusement pour le poste de Messie. À cette fin de ne pas être dévoilé trop tôt aux foules comme Messie, se met en place dès le début de l’évangile le fameux « secret messianique », caractéristique du Jésus de Marc. En effet, à de nombreuse reprises, Jésus dans le second évangile, interdit aux bénéficiaires de guérison d’en parler à quiconque [1].

Un Jésus rude ?

Une certaine rudesse de Jésus dans l’épisode étonnera. La traduction liturgique édulcore quelque peu le texte grec de l’évangile. À l’église on entendra : Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt… alors que la traduction mot à mot du grec au français donnerait plutôt ceci : « Le menaçant, il le jeta dehors… » Pourquoi, ayant d’abord fait preuve de compassion envers le lépreux, Jésus le renvoie-t-il [2] rudement avec un avertissement sévère? Le contexte en amont (Mc 1,35) et en aval (Mc 1,45) laisse entendre que la crainte d’attirer trop vite l’attention sur lui et le désir d’éviter les attroupements soient la source de l’irritation de Jésus.

Une guérison symbolique…

Quoi qu’il en soit des dispositions de Jésus, la guérison a lieu et celle-ci est éloquente à plus d’un égard, elle devient la préfigure de ce que sera la mission salvatrice de Jésus. L’évangile de Marc joue constamment sur deux claviers : celui du passé de Jésus de Nazareth, de ses œuvres, de ses paroles et celui des contemporains de l’évangéliste qui vivent déjà du Christ ressuscité, animés de son Esprit. En relisant l’épisode à la lumière de Pâques, on comprendra que ce lépreux devient l’humanité libérée du péché et du mal par le Christ qui la touche par son passage sur terre – et  surtout par sa mort-résurrection. Ce Jésus qui enfreint la Loi, touchant un intouchable, nous montre bien un tout autre visage de Dieu, compatissant, venu pour les pécheurs et non pour diviser le monde entre le pur et l’impur. Enfin le lépreux guéri devient le prototype du missionnaire annonçant la Bonne Nouvelle!

Pour nous aujourd’hui…

L’être humain devant son Dieu a cette curieuse tendance à vouloir se cacher de lui quand il se sent fautif. À preuve, nos premiers parents dans le récit imagé de la Genèse après la désobéissance (Gn 3,8). Apprenons plutôt du lépreux son audace à venir vers Jésus, le supplier, au cœur de nos misères. Apprenons de Jésus que Dieu est miséricorde et qu’il désire nous pardonner, nous guérir, nous rétablir dans notre dignité. Comme le lépreux guéri, une fois que la rencontre de Jésus nous ait transformés, apprenons à proclamer sa Bonne Nouvelle, à témoigner des merveilles qu’il opère encore aujourd’hui de sorte que, de partout, on vienne à Lui!

Détenteur d’une licence en Écritures Saintes auprès de l’Institut biblique pontifical de Rome, Patrice Bergeron est un prêtre du diocèse de Montréal, curé de paroisses. Il collabore au Feuillet biblique depuis 2006.

[1] Autres exemples de la consigne du silence Mc 1,34. 5,43. 7,36. 8,26. Cette consigne, comme dans le cas du lépreux guéri, n’est pas toujours respectée.
[2] Le verbe grec utilisé par l’évangéliste (traduit par « renvoya ») est le même que Marc utilise pour dire que Jésus expulse les démons. 

Source : Le Feuillet biblique, no 2833. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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