La résurrection de la fille de Jaïre. Gabriel von Max, 1878.
Huile sur toile, Musée des beaux-arts de Montréal (Wikipédia).

La vie en plénitude

Patrice PerreaultPatrice Perreault | 13e dimanche du Temps ordinaire (B) – 30 juin 2024

Guérison d’une hémorroïsse et résurrection de la fille de Jaïre : Marc 5, 21-43
Les lectures : Sagesse 1, 13-15 ; 2, 23-24 ; Psaume 29 (30) ; 2 Corinthiens 8,7.9.13-15
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Dans les textes de ce dimanche, on traite de la vie et de la mort. D’ailleurs, on aborde les multiples aspects de la mort et de la vie. Ils mettent l’accent sur plusieurs types de mort et de vie tant sur les plans social, spirituel que relationnel.

La nature de l’être humain dans la Bible

Il importe de noter que l’anthropologie biblique est unitaire. Autrement dit, ce qu’une culture gréco-romaine considère dans une perspective dualiste (l’âme immortelle/le corps), ne se retrouve que fort peu dans l’ethos biblique (dans les écrits de sagesse, la distinction âme/corps y est formulée). Lorsqu’il est question d’esprit ou d’âme en parlant d’être humain, il s’agit avant tout d’angles par lesquels nous regardons les personnes [1]. Dans cette optique, l’être humain, à la différence de la culture occidentale, n’est pas immortel par nature ni âme, ni corps. La vie est octroyée par Dieu comme l’illustre le livre de la Genèse : Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant (Gn 2,7).

Pour la pensée biblique, l’être humain est avant tout un corps animé. En d’autres termes, il est inconcevable d’imaginer, dans la majorité de la tradition biblique, tant le Premier que le Second Testament, un être humain se composant d’une âme immortelle et d’un corps périssable. Dans une perspective biblique, le corps peut se définir comme la capacité relationnelle des êtres d’où l’importance de le distinguer du cadavre incapable de nouer une quelconque dimension relationnelle. Il est possible de comprendre alors l’importance de la résurrection dans la Bible : sans elle, chaque être vivant sombre dans l’oubli ou tombe dans un état semblable au sommeil, dans un lieu que la Bible appelle le shéol ou le séjour des morts [2].

Dans cette optique, Dieu fait surgir les personnes du shéol, la divinité les ressuscite. C’est ainsi que la résurrection de Jésus peut se comprendre. Dieu l’a extirpé du shéol. Il lui a redonné la vie en plénitude. C’est également dans cette perspective que la nouvelle existence de Jésus ne constitue pas une simple résurrection du cadavre, mais une transformation inédite de la vie. C’est bien pourquoi, Paul distingue la dimension terrestre de la dimension céleste : Ce qui est semé corps physique ressuscite corps spirituel ; car s’il existe un corps physique, il existe aussi un corps spirituel (1 Corinthiens 15,44). Pour Paul, la dimension physique et matérielle s’avère analogue à la différence entre la semence et la plante qui en jaillit (1 Co 15,35-50).

La vie et la mort spirituelle

La première lecture, celle du livre de la Sagesse, porte sur la mort et corollairement sur la vie. Dans le contexte du passage, il n’est nullement question de la mort physique des êtres humains, mais de la mort spirituelle. Elle se définit comme étant la rupture de la relation avec la divinité. Par la poursuite d’un chemin vertueux, la personne cherchant la sagesse, maintient une relation avec la divinité et par conséquent touche à la vie en plénitude. Dans ce passage, il est intéressant de prendre note que pour la divinité, la vie demeure importante. Dieu espère maintenir une relation avec l’ensemble de la vie, de tous les êtres. Par lui, il souhaite le maintien relationnel.

Avec le verset 24, ce n’est pas l’origine mythique du mal qui est soulignée, mais son impact dans le présent. Ce qui est à retenir concerne la division et la séparation relationnelle qui entraînent la mort de la personne sur tous les plans, car sans la relation, l’être humain s’étiole et s’enferme littéralement dans le refus de la rencontre, de l’ouverture à l’autre, considéré dans sa pleine dignité et une égale humanité dans sa différence.

Autrement dit, la tentation est de ramener tout à une forme homogène, au phantasme du pareil, de l’ordre absolu à l’image de la tour de Babel (Gn 11,1-9). Cette impasse existentielle se présente avec vigueur dans notre contexte contemporain favorisant parfois le rejet de la relation au nom même de Dieu. Or, tant ce passage que les évangiles nous invitent plutôt à intégrer plus que jamais la pluralité du monde avec la notion que nous le partageons tous et toutes en commun. La première lecture, nous incite donc à la vie en plénitude qui passe nécessairement par la dimension relationnelle tant dans ses défis que dans ses joies.

La relation communautaire comme vie en plénitude

Dans la seconde lecture, Paul rappelle jusqu’à quel point, la solidarité entre communautés chrétiennes se définit de façon organique. Les communautés sont liées entre elle par une foi commune : Car le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. (2 Co 5,15). C’est pourquoi la plénitude de la vie se concrétise dans une dimension communautaire où la solidarité demeure la clé de voûte des liens unissant l’ensemble de l’Église. Paul, dans ce passage, ne fait que rappeler cette vérité élémentaire à la communauté de Corinthe qui procrastine dans l’exécution de cette tâche.

Pour le christianisme, la solidarité va bien au-delà des clivages de classes socioéconomiques et religieuses. Ainsi, la vie en plénitude passe par l’accueil et la valorisation de la diversité humaine dans ce que plusieurs désignent maintenant sous le nom de pluriversalisme [3] où la dignité, l’équité, l’égalité, l’empathie, la bienveillance et la compassion forment le cœur d’un projet humain et a fortiori nécessairement chrétien. Une telle posture favorise la circulation de la vie, du « souffle » pourrait-on dire, unissant tous les êtres en étroite relation les uns avec les autres.

D’ailleurs, cette dimension relationnelle est mise en exergue par le psaume qui privilégie une relation à Dieu dans toute l’intimité possible et dans une confiance totale. Le psaume révèle que la divinité est avant tout celle de la vie et pas simplement de la survie. Il s’agit d’une vie en plénitude qui se caractérise par un abandon à Dieu. Dans la foi du psaume, il est réitéré qu’il y a parfois un renversement de situation où les personnes sont relevées dans leur statut d’être humain relationnel (voir Lc 1,49-55). En dépit des apparences, le psalmiste s’abandonne à la divinité et par conséquent à l’espérance.

L’espérance têtue

À cet égard, le récit évangélique illustre comment l’espérance demeure même quand tout semble s’y opposer (Mc 5,35.38). Pour l’entourage de Jaïre, tout est terminé. Il est trop tard. Or, Dieu, par l’intermédiaire de Jésus, opère un renversement de situation. Le moment revêt une solennité unique car Jésus se fait accompagner par les mêmes disciples tout aussi présents à la transfiguration (Mc 9,2-9) qu’au jardin de Gethsémani (Mc 14,33). En d’autres termes, les disciples seront témoins d’un moment charnière dans le ministère du Christ : une forme de christophanie comme le laisse présager le verset 41 où le terme « se lever » est employé pour décrire la résurrection de Jésus (Mt 28,6 ; Romains 4,25).

Le relèvement de la jeune fille opère une consternation des disciples, un peu à l’image de celui de Jésus dans l’évangile au matin de Pâques (Mc 16,8). Un autre parallèle avec la transfiguration concerne la consigne du caractère secret de l’événement (Mc 5,43 ; 9,9) pour les mêmes motifs selon lesquels, la révélation publique ne s’est pas encore produite. Elle survient avec la déclaration du centurion romain à la croix : Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » Dans cette optique, la fille de Jaïre devient, en Marc, le miroir de la vie de Jésus comme procédé catéchétique similaire à la résurrection de Lazare en Jean (Jn 11,1-45). Il s’agit implicitement d’une forme de proclamation de la résurrection de Jésus dans cet évangile.

La guérison comme résurrection sociale et religieuse

Dans cette transfiguration du malheur, il s’agit véritablement d’une « eucatastrophe [4] » pour reprendre le néologisme de Tolkien où ce qui semblait sans espoir se métamorphose en un dénouement heureux. Une telle conclusion s’illustre avec la péricope évangélique d’une double action thaumaturgique destinée à des femmes.

La première se déroule à l’insu de Jésus. Il convient de souligner comment l’exclusion de cette femme hémorroïsse correspond à une forme de violence [5]. De par sa condition, elle est mise au ban de la société et ostracisée par les règles de l’impureté (Lévitique 15,19-30). En plus, la mention de 12 ans indique que cela signifie qu’elle souffre de cette condition depuis fort longtemps [6]. Ce qui ajoute à la tragédie, c’est qu’elle a intériorisée elle-même cette exclusion comme cela survient fréquemment pour les personnes marginalisées comme le laisse entendre le verset 28 : Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. Peut-être espérait-elle, en agissant ainsi que Jésus soit moins contaminé par son impureté. Un indice de cette intériorisation se confirme au verset 33 : Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante.

Sa crainte est probablement celle d’une sanction, ayant conscience d’une transgression sociale et religieuse d’autant que la question de Jésus peut s’interpréter, à première vue, comme un regard inquisitoire face à une faute rituelle. Or, tel n’est pas le cas. En effet, la question de Jésus cherche davantage à établir un dialogue, à la ramener à la vie en confirmant le bien-fondé de son geste de libération initiée par elle. Autrement dit, Jésus reconnaît l’agentivité de cette femme qui proclame la bonne nouvelle que les règles sociales et religieuses générant l’exclusion sont désormais caduques. Jésus la « ressuscite » sur le plan social et religieux en la reconnaissant comme une personne à part entière comme c’est le cas pour la femme adultère en Jean (Jn 8,2-11). En instaurant le dialogue, il rend public cette guérison et donc son retour à la société [7].

Cette capacité relationnelle se retrouve au cœur de l’épisode avec la fille de Jaïre. Ce qui est remarquable dans ce passage évangélique, ce n’est pas uniquement le relèvement de la fille que Jésus introduit au dialogue. Tout comme pour la femme hémorroïsse, il l’interpelle directement comme une personne avec qui entrer en relation (Mc 5,34.41). Alors que les femmes demeurent invisibles, le véritable miracle n’est-il pas la reconnaissance de la dignité et du caractère foncièrement humain de ces femmes? Comme le souligne à juste titre Priscille Djomhoué :

C’est ici que l’acte de Jésus devient libérateur pour tous et toutes. C’est une libération qui ne coûte rien, elle est à portée de main, c’est une grâce qu’il faut acquérir simplement au prix de sa volonté de regarder la femme, l’autre, autrement, comme une créature aimée de Dieu au même titre que soi-même. […] Si le serviteur doit suivre l’exemple du maître, Jésus invite toute personne qui se réclame de lui ou qui sympathise avec lui, à entrer dans ce merveilleux programme qui consiste à transformer la violence en tendresse [8].

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Patrice Perreault a travaillé pendant longtemps en milieu paroissial. Il est maintenant impliqué dans divers groupes communautaires à Granby.

[1] Quoique dans la littérature de sagesse souvent réfléchie dans d’autres cultures que celle de la Palestine, on peut observer une forme de dualité où l’âme se distingue du corps comme dans Sagesse 9,15 : Car un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées. Ce dualisme présent dans la littérature sapientielle diffère grandement de sa contrepartie grecque : l’âme n’est pas en soi immortelle. Elle dépend totalement de Dieu de qui les êtres vivants reçoivent l’existence. C’est pourquoi, le sort de tous les êtres vivants sont semblables : Je me suis dit à propos des fils d’Adam : Dieu les met à l’épreuve pour leur montrer qu’ils sont comme les bêtes. Car le sort des fils d’Adam et celui de la bête sont un seul et même sort. Comme est la mort de l’un, ainsi la mort de l’autre : ils ont tous un seul et même souffle. L’homme n’a rien de plus que la bête : tout est vanité. Tout va vers un même lieu : tout est tiré de la poussière, et tout retourne à la poussière (Qohélet 3.18-20).
[2] Dans la Bible, il est impensable de considérer la mort complète. Il subsiste toujours une espèce de velléité, une ombre de la vie qui ne peut être considérée véritablement comme une vie active : Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le avec la force dont tu disposes, car il n’y a ni travaux, ni projets, ni science, ni sagesse au séjour des morts où tu vas. (Qo 9,10) d’où l’importance de la notion de résurrection bien présente dans les évangiles et dans les livres de Daniel (Dn 12,2) et des Martyrs d’Israël (2 M 6,18-32; 7;14,14.46). Le verset 46 illustre une forme de dérive de la croyance en une résurrection très matérialiste : Ayant déjà perdu tout son sang, il s’arracha les entrailles, les prit à deux mains et les jeta sur la foule, invoquant le Maître de la vie et de l’esprit afin qu’il les lui rende un jour. C’est de cette manière qu’il mourut (2 M 14,46). Théologiquement, la résurrection est une réponse à la théologie de la rétribution où les personnes sont récompensées dans leur vivant par la richesse, la reconnaissance et une descendance. Le livre de Job en constitue une autre. Sans la résurrection, il n’y a pas de justice, ni de fidélité à Dieu. Ainsi, la résurrection garantit le maintien de la relation avec Dieu.
[3] Voici une définition du pluriversalisme : « Concept qui tente de dépasser l’opposition entre relativisme et universalisme. Le pluriversalisme tente de penser un universel qui admet l’existence de la pluralité. » tiré du site Iresmo. (Consulté le 10 février 2023).
[4] J.R.R. Tolkien, Du conte de fée, Paris, Christian Bourgeois éditeur, 2022.
[5] Priscille Djomhoué, « Jésus dit à la femme mise à l’écart : « fille! ». De la violence à la tendresse », dans Élisabeth Parmentier, Pierrette Daviau et Lauriane Savoy (dirs), Une bible des femmes, Genève, 2018, p. 161-165.
[6] Priscille Djomhoué, op.cit., p. 165.
[7] Ibid., p. 169-170.
[8] Ibid., p. 174.

Source : Le Feuillet biblique, no 2853. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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