Jean et Pierre au tombeau. Jean François Romanelli, c. 1640.
Huile sur cuivre argenté, 46,6 x 38,4 cm. Los Angeles County Museum of Art (Wikipédia).

Le jour de la foi

Lorraine CazaMarc Gigard | Résurrection du Seigneur (B) – 31 mars 2024

Le tombeau vide : Jean 20, 1-9
Les lectures : Actes 10, 34a.37-43 ; Psaume 117 (118) ; Colossiens 3, 1-4
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

On dit du disciple, à peine entré dans le tombeau : Il vit et il crut. Ce « il », est-ce aussi moi, homme ou femme du 21e siècle? Vous savez, l’Évangile et la Bible deviennent tellement plus intéressants quand on développe le réflexe de se regarder dans les personnages comme on se regarde dans un miroir : Marie Madeleine, Pierre, Jean, c’est toujours moi. Ainsi, l’Évangile du matin de Pâques nous fournit une magnifique grille d’analyse de notre foi personnelle et de celle de nos contemporains.

L’Évangile du jour relu en quatre étapes

Commençons, si vous voulez bien, par relire notre passage d’Évangile un peu comme une pièce de théâtre, qui se déroule en quatre actes successifs.

1. La nuit. En fait, la première étape du drame n’est pas racontée. Mais on peut facilement la reconstituer. Imaginez la sorte de nuit que Marie Madeleine ou les apôtres ont passé du samedi au dimanche. Ils ont sûrement très mal dormi, comme ça nous arrive chaque fois qu’on vit une lourde peine, un échec terrible. Madeleine, Pierre et Jean vivent une épouvantable tragédie : ils avaient placé toute leur espérance et leur amour en une personne ; et voilà que tout vient de s’effondrer. Immobilisés dans la noirceur de l’inconscient, ils ne bougent plus du tout, sinon sur place, se retournant d’un côté et de l’autre dans leur lit.

2. L’aube. Marie Madeleine n’en peut plus. De grand matin, alors qu’il fait encore sombre, elle se lève et se rend au tombeau. Elle ne court pas encore ; elle marche à pas feutrés, de peur de « s’enfarger » dans l’obscurité. Une fois rendue, un signe la frappe, un signe gris : la pierre qui fermait le tombeau est tassée. Tout de suite, elle raisonne, elle se rabat sur une explication naturelle : On a dû l’enlever. Elle n’entre pas. Elle part en courant.

3. L’aurore. Informés, Pierre et Jean partent en courant. Surtout par inquiétude, on peut le supposer. Pierre entre dans le tombeau. Deux signes le frappent : un drap mortuaire, le suaire, le linceul, resté là, et le linge qui avait recouvert la tête […], roulé à part, à sa place. L’explication naturelle ne tient plus : quelque chose s’est passé.

4. Le plein jour. Jean, l’autre disciple, entre, immobile. Il vit et il crut. Le raisonnement prend le bord, la réaction de surprise passe. C’est l’instant du coup d’œil parfaitement lumineux : instant d’assurance tranquille, de joie profonde, de paix totale. Jean reçoit le cadeau d’une expérience spirituelle absolument décisive : une communion au Christ vivant.

Les quatre degrés de l’expérience religieuse

Et nous, sommes-nous de vrais croyants? L’Évangile de Pâques peut nous aider à nous situer personnellement et aussi à mieux comprendre la religion actuelle de nos Québécois.

1. La nuit. Le premier degré, c’est la nuit des athées, ou encore la nuit de ceux qui croient seulement à l’Être suprême, au Dieu de la création. Pour eux, Jésus est un homme, Jésus est un cadavre. C’est la religion du tombeau fermé, qu’on trouve, par exemple, chez bons nombres de jeunes et de moins jeunes qui croient en une puissance supérieure plus ou moins anonyme. Un peu d’inquiétude religieuse : on tourne et on retourne dans le lit, on reste dans la noirceur d’une demi conscience.

2. L’aube. L’aube, c’est l’étape de la religion « sombre », celle qui sait lire quelques signes chrétiens dans la grisaille du quotidien : Jésus n’est plus au tombeau. C’est la religion des raisonneurs, de ceux qui cherche des explications scientifiques, naturelles : « Peut-être bien que ce n’est pas vrai!... » Ceux-là, ils n’entrent pas dans le tombeau. Ils se contentent de la pierre roulée. Ils courent d’un bord et de l’autre pour dire ce qu’ils ressentent et trouver quelques réponses.

3. L’aurore. L’aurore, c’est la religion de la foi naissante, celle qui a besoin de signes, de signes blancs, venus du ciel. On n’est plus simplement spectateur intéressé du monde chrétien. On se donne toutes les chances, on entre au cœur même du tombeau, pour constater.

4. Le plein jour. Le plein jour, c’est la religion de la vraie foi, de l’expérience spirituelle : Jésus est vivant dans le monde, Jésus est vivant en moi. Le disciple bien-aimé entra : Il vit et il crut. Comment savoir si on a une véritable foi chrétienne, une foi qui évolue en plein soleil? Je serais porté à donner quatre caractéristiques plus importantes que les autres.

a) Une vraie foi n’a plus besoin de signes : elle n’est pas le fruit d’une recherche personnelle ; elle est tout entière reçue.
b) Une vraie foi est une foi qui s’arrête, pour respirer : saint Jean a fini sa course ; il entre et ne bouge plus ; c’est alors que ses yeux s’ouvrent.
c) Une vraie foi est une foi qui contemple, pour recevoir l’empreinte du Christ, pour vibrer, pour devenir libre.
d) Mais ce n’est pas tout. La vraie foi ne se vit pas tout seul ; c’est finalement une expérience communautaire, une expérience d’Église. Tant qu’ils dorment, marchent et courent tout seuls, Marie Madeleine, Pierre et Jean ne sont pas encore vraiment croyants. Jean « allume » quand, une fois entré, il se retrouve avec Pierre. Pierre, aujourd’hui, c’est le pape, le premier des apôtres, le signe d’unité de toute l’Église. Tant qu’une foi n’est pas pleinement branchée sur la communauté, en communion parfaite avec l’Église universelle, elle n’est pas encore arrivée à son plein jour.

Aujourd’hui

Et moi, comment est-ce que je me situe face à cette page d’Évangile? Est-ce que ma foi à moi, elle croupit au premier degré, plongée dans l’inquiétude et la nuit de l’inconscient? Ou au deuxième degré dans la demi obscurité des premières lueurs de l’aube? Est-elle rendue au troisième, comme le soleil naissant au point du jour, mais fragile et encore toute dépendante des signes? Ma foi a-t-elle vraiment atteint le niveau quatre, celui du plein jour, de l’expérience spirituelle vivante et nourrissante?... Est-ce qu’honnêtement, je peux décrire ma foi à moi comme une véritable relation personnelle avec Jésus vivant? Ma spiritualité à moi est-elle d’abord et avant tout pascale? Est-ce que je passe mon temps à tâtonner dans la noirceur de mon tombeau intérieur?

Marc Girard est prêtre et professeur émérite d’exégèse à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Source : Le Feuillet biblique, no 2840. Réédition du Feuillet 1400 (31 mars 1991). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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