Le roi David. Edna Hibel (1917-2014). Huile sur panneau, 66 x 50,8 cm (© Galerie d’arts Rishon).

Louange, alliance et... reproches : le Psaume 89 (88)

Jean GrouJean Grou | 26 juin 2023

Lire le psaume (version liturgique)

Le Psaume 89 (88) est peut-être le plus « israélite » de tout le psautier. En effet, il est résolument ancré dans la culture, la religion, la politique, la société et même la géographie d’Israël à l’époque biblique. On peut le classer dans la catégorie des psaumes royaux, puisque le contexte d’origine est manifestement la cérémonie d’intronisation d’un souverain. Relativement long (53 versets), il comporte quelques éléments susceptibles de nous étonner. Voyons de plus près…

Structure

Le Psaume 89 (88) peut se diviser assez aisément en trois parties principales, précédées d’une introduction et suivies d’une conclusion.

v. 2-5 = introduction
v. 6-19 = louange cosmique
v. 20-38 = l’alliance entre Dieu et David
v. 39-52 = lamentation et supplication
v. 53 = conclusion (acclamation)

Mise en route (v. 2-5)

L’introduction annonce les deux parties suivantes, la louange (v. 6-19) et l’évocation de l’alliance davidique (v. 20-38). Dès le départ, deux mots clé y apparaissent, amour et fidélité, qui reviennent comme une sorte de leitmotiv tout au long du psaume. On les retrouve en effet sept fois, toujours associés à des termes qui évoquent la longévité, la pérennité : « sans fin » et « pour toujours ». Le ton est donné pour la suite.

Louange cosmique (v. 6-19)

Si l’on peut qualifier de cosmique la louange qui retentit dans la première partie, c’est parce qu’elle met en scène l’univers entier : la terre, la mer, le ciel… Le destinataire de cette louange est au départ un nouveau roi. Au moment de son intronisation, on fait son éloge et on proclame tout ce qu’on attend de lui. Mais ultimement, c’est à Dieu que l’on s’adresse ici, puisque le roi était considéré comme son représentant direct au sein de son peuple. Sans attribuer au souverain une nature divine, on reconnaissait qu’il occupait une place de choix dans le cœur de Dieu. Il devait alors se montrer à la hauteur de sa responsabilité. On a donc affaire ici à un portrait idéalisé du roi, si on prend ces mots au premier degré. Mais il s’agit aussi d’une manière de rappeler au nouveau roi qu’il peut compter sur la puissance divine pour exercer son autorité auprès de ses sujets.

Qu’est-ce qui caractérise cette puissance divine ? Tout d’abord : son « siège social » se trouve dans « les cieux » qui eux-mêmes rendent grâce au Seigneur pour ses merveilles (v. 6). Elle s’exerce dans la fidélité (v. 6.9), une vertu que Dieu seul peut pleinement revendiquer. Une deuxième facette qui se manifeste, c’est la domination du Seigneur sur les éléments naturels : il maîtrise la mer déchaîné, piétinant du coup « la dépouille de Rahab », un être mythique réputé pour habiter les fonds marins (v. 10-11). Dieu est aussi le créateur du monde terrestre, étendant ainsi son autorité sur toute la surface du globe. Le verset 13 précise que cela comprend « le Tabor et l’Hermon », deux montagnes bien connues de la population israélite.

Enfin, les versets 14 à 17 abondent sans complexe d’anthropomorphismes, dépeignant la puissance divine comme un bras et une main qui agissent avec force, tout en montrant un visage lumineux, empreint d’amour et de vérité. Pas question ici, donc, d’oppression, de contrainte ou d’abus de pouvoir.

L’alliance entre Dieu et David (v. 20-38)

En guise d’appui à ce qui précède, la partie suivante évoque l’alliance que Dieu a établi avec le roi David. Rappelons que celui-ci, peu après s’être fait construire un palais à Jérusalem, se rend compte que l’arche d’alliance, considérée comme le lieu de la présence divine, est remisée dans une simple tente, celle qui lui a servi d’abri durant la migration dans le désert. David décide donc de faire construire au Seigneur une demeure digne de ce nom, à savoir un temple. Il confie ses intentions à son conseiller, le prophète Nathan, qui lui donne son aval. Or, ce dernier, à la suite d’un songe, retourne auprès du roi et lui transmet, de la part de Dieu, un oracle annonçant un renversement de situation. Le Seigneur ne laissera pas David lui ériger un temple, c’est plutôt lui qui donnera une « maison » au roi, une manière de dire qu’il va fonder la dynastie davidique.

C’est à la lumière de cet épisode, entre autres, qu’il convient de lire les versets 20 à 38 du Psaume 89 (88) pour en saisir toute la portée. Ainsi, dès le départ, il est question d’« amis » à qui Dieu a parlé dans une vision. Il s’agit de toute évidence des prophètes Samuel et Nathan. Le premier avait procédé au rite de l’onction en faveur de David, le constituant ainsi roi sur Israël. Le second, comme on vient de l’évoquer, avait annoncé la fondation de la dynastie davidique.

C’est Dieu qui prend ici la parole et il rappelle ses engagements envers David. Il l’assistera dans ses combats (v. 23-24), le soutiendra dans l’amour et la fidélité, étendant son pouvoir sur tout le territoire israélite (v. 25-26). Il sera même, pour le roi, un « Père », qui le reconnaîtra comme son « fils ainé », ce qui signifie que ce dernier bénéficiera de faveurs particulières. Ces promesses vaudront aussi pour les descendants de l’illustre roi.

Cela dit, tous ces avantages et ces bienfaits s’accompagnent de responsabilités. Le roi et ses descendants devront respecter la loi et les volontés divines, sinon ils en subiront les conséquences (v. 31-34). Ici apparaissent les conditions inhérentes à toute alliance : les deux parties doivent les respecter, sinon le fautif risque de se retrouver sans le soutien de son partenaire. Dieu, d’ailleurs, s’engage solennellement à cet égard : « Jamais je ne violerai mon alliance, ne changerai un mot de mes paroles. […] Non, je ne mentirai pas à David ! Sa dynastie sans fin subsistera. » (v. 35-37)

Lamentation et supplication (v. 39-52)

« Pourtant… » Ce simple mot qui ouvre la troisième partie marque un changement de ton radical. Sans avertissement commence une série de reproches adressés à Dieu. On a l’impression que ce dernier se trouve au tribunal ; les accusations pleuvent, d’une rare sévérité. Mais de quoi l’accuse-t-on au juste ? Rien de moins que d’avoir rejeté son messie, brisé l’alliance, laissé la ville sainte se faire piller, soutenu les ennemis du roi pour le couvrir de honte. Bref, il aurait trahi sa parole, celle-là même dont on vantait la fidélité et la solidité dans les deux sections précédentes.

Rarement trouve-ton dans les psaumes, et même dans la Bible en général, des reproches adressés aussi directement à Dieu. Habituellement, quand un malheur survient, on adresse une plainte au Seigneur, mais de manière détournée ou sous forme d’interrogation. Comme le célèbre cri que Jésus reprendra sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » (Psaume 22,1) Ici, aucun filtre, aucun détour. Dieu est assis au banc des accusés et sommé de rendre des comptes.

Mais quelle mouche a donc piqué l’auteur du Psaume 89 (88) ? Après avoir chanté les louanges du Seigneur dans la première partie et rapporté son engagement indéfectible à l’endroit de David, pourquoi un tel retournement ? Sans doute faut-il voir ici le reflet d’une situation historique précise vécue par le peuple d’Israël : la chute de Jérusalem et la brutale fin de la dynastie davidique au 6e siècle avant notre ère. Israël avait toutes les raisons d’espérer un avenir glorieux, mais la réalité l’a cruellement rattrapé et jeté au sol.

Pourquoi avoir conservé ce psaume qui se termine de manière aussi dramatique et décevante, à part le dernier verset, qui a toutes les allures d’un ajout. Pourquoi lui donner une place dans le psautier alors qu’il se conclut en donnant à Dieu le mauvais rôle ? Les réponses à ces questions se perdent dans la nuit des temps… Cela dit, on peut reconnaître à ce psaume une valeur : il nous donne le droit de crier notre révolte et même d’accuser le Seigneur pour nos malheurs. C’est un véritable appel de détresse devant l’énigme du mal qui habite le monde et s’infiltre dans notre quotidien. Faut-il en demeurer là, à hurler à l’injustice au risque de sombrer dans le désespoir ? Évidemment pas ! Et heureusement, il existe une multitude d’autres psaumes et passages bibliques qui résonnent autrement et savent trouver de la lumière même au plus profond des ténèbres.

Conclusion (v. 53)

« Béni soit le Seigneur pour toujours ! Amen ! Amen ! » Tel que signalé ci-dessus, la conclusion, le tout dernier verset, a toutes les allures d’un ajout : peut-être en effet qu’un scribe, un jour, en le recopiant, a désiré conclure sur une note positive. Un peu comme s’il avait voulu dire que, malgré toutes les accusations qu’on a pu porter contre lui, Dieu est fondamentalement bon et fidèle. Trop peu trop tard ? Peut-être bien. Mais n’oublions pas que la fin de la dynastie davidique ne fut pas le dernier mot de Dieu. En fait, la descendance de David s’est poursuivie jusqu’à donner naissance à un certain Jésus de Nazareth. Avec lui, l’espérance renaît sans cesse et nous pouvons chanter de nouveau le premier verset du Psaume 89 (88) : « L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. »

Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.

Psaumes

Psaumes et cantiques

Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.