(Andrea Placquadio / Pexels)

Une joie anticipée : le chant des rachetés — AT 19

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 25 décembre 2023

Référence biblique : Isaïe 12, 1-6
Liturgie des Heures : II Jeudi — Laudes

1Seigneur, je te rends grâce :
ta colère pesait sur moi,
mais tu reviens de ta fureur et tu me consoles.

2 Voici le Dieu qui me sauve :
j’ai confiance, je n’ai plus de crainte.
Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ;
il est pour moi le salut.

3 Exultant de joie, vous puiserez les eaux
aux sources du salut.

4 Ce jour-là, vous direz : « Rendez grâce au Seigneur,
proclamez son nom,
annoncez parmi les peuples ses hauts faits ! »

Redites-le : « Sublime est son nom ! »
5 Jouez pour le Seigneur,
car il a fait les prodiges que toute la terre connaît.

6 Jubilez, criez de joie, habitants de Sion,
car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël !

Sens original. Les chapitres 1-12 du livre d’Isaïe comprennent une série de prophéties adressées à Israël (le royaume du Nord) et à Juda (le royaume du Sud) alors que le peuple craint l’agressivité de l’empire assyrien (745-722 avant Jésus-Christ). Isaïe est convaincu que le Dieu d’Israël lui-même se servira de la puissance assyrienne pour punir le Peuple choisi de ses nombreuses fautes à l’égard de l’Alliance. Mais il est tout aussi convaincu que cette punition inaugurera un temps de joie et de paix lorsque le peuple, purifié de ses péchés, se sera retourné vers son Créateur et Sauveur dans la fidélité et l’intégrité. C’est pourquoi, tout en prévoyant un jour de châtiment, il voit aussi dans ce jour l’avènement de la félicité. Le cantique AT 19 correspond au chapitre 12 qui conclut cette première section du livre. Il s’agit d’un psaume de louange qu’Isaïe met dans la bouche des Israélites qui seront, ce jour-là, renouvelés par l’action de Dieu.

Le cantique se divise en deux parties égales. La première commence par des mots qu’omet la liturgie : « Ce jour-là, tu diras… » La seconde s’ouvre avec des paroles semblables : « Ce jour-là, vous direz. » Le jour auquel on fait référence est évidemment le jour où Dieu agira pour restaurer son peuple. Le « tu diras » — adressé soit au prophète, soit à Israël pris collectivement — invite à l’action de grâces, caractéristique de tout ce cantique. Notons le mouvement évoqué dans le premier verset : après un temps de punition vient le temps de consolation. Le deuxième verset cite le cantique de Moïse (Exode 15,2), le grand chant que les Hébreux ont entonné après avoir traversé la mer Rouge. Le prophète trace ainsi un lien clair entre l’œuvre de Dieu dans le passé et celle qui s’annonce pour l’avenir. La différence réside en ceci : autrefois, Dieu avait extirpé les Hébreux de l’esclavage en Égypte en les faisant sortir de cette terre impure ; maintenant, Dieu doit extirper le mal qui s’est installé en Israël en purifiant le peuple lui-même. L’évocation des « sources du salut » dans le troisième verset réfère à la fois à la traversée de la mer Rouge et à la fête des Tentes où, annuellement, on lavait l’autel du Temple à grande eau.

La deuxième partie du cantique, rédigée à la seconde personne du pluriel, invite toujours à l’action de grâces. Mais cette fois-ci, le contexte est universel. La louange d’Israël doit devenir un témoignage pour toute la terre. Le prophète prépare ainsi la prochaine section de son livre, consacrée à des prophéties sur les peuples. Il y annoncera que toutes les nations seront purifiées par Dieu qui, seul, est souverain. Isaïe conclut en imaginant le monde transformé où Dieu trônant dans le Temple — demeure divine établie à Jérusalem sur le mont Sion — régnera sur l’univers entier.

À la lumière des Évangiles. La fête des Tentes (Soukkot) qu’évoque Isaïe dans son cantique était toujours célébrée au Temple de Jérusalem à l’époque de Jésus. Cette fête de pèlerinage faisait mémoire de l’assistance qu’avaient reçu les Hébreux durant leurs années d’errance au désert tout en rendant grâce pour la récolte de l’année en cours. Un rituel particulier consistait à verser de l’eau sur l’autel du Temple en implorant une bénédiction de pluies abondantes durant l’année à venir. Le septième chapitre de l’évangile selon saint Jean raconte que Jésus monta à Jérusalem pour célébrer cette fête avec les autres Juifs. Voici le récit : « Au jour solennel où se termine la fête, Jésus, debout, s’écria : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive.” » L’évangéliste ajoute un commentaire à ce récit : « En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » (Jean 7,37-39)

La perspective chrétienne tisse aisément un lien entre cet épisode, le rituel du baptême et le verset du cantique d’Isaïe : « Exultant de joie, vous puiserez les eaux aux sources du salut. » La liturgie de la Vigile pascale le fait explicitement lorsqu’elle nous invite à chanter ce psaume en ce soir où sont baptisés les nouveaux croyants. Jésus lui-même se présente comme la « source du salut » pour toute personne qui croit en lui. La vie de chaque chrétien et de chaque chrétienne devient ainsi, en Jésus, une source d’eau vive pour le monde entier.

Dans ma vie. Un jour, j’ai accepté la responsabilité de m’occuper du lot de cimetière où est enterré un de mes arrière-grands-pères. J’ai été attristé de voir l’état de sa pierre tombale la première fois que je suis allé visiter ce lieu. Elle était recouverte de mousse et de lichen, au point où l’on ne pouvait plus distinguer les lettres taillées dans la pierre. J’y suis retourné avec quelques membres de ma famille pour la nettoyer. Suivant des conseils judicieux, nous avons attendu des jours sans pluie pour laisser sécher la végétation. Nous avons pu alors récurer la pierre avec des brosses et dégager la mousse et le lichen. Ensuite, nous y avons versé beaucoup d’eau. En lavant et en frottant, nous avons vu la surface retrouver son poli original. On pouvait maintenant lire clairement le lettrage qui y était gravé. Nous avons même découvert des patrons décoratifs taillés dans le roc que nous n’avions pas imaginé lors de notre première visite.

Dans un sens, nous avons « baptisé » cette pierre tombale en la dégageant de la poussière et de la végétation qui l’enlaidissait. Elle a retrouvé sa beauté originelle et peut aujourd’hui marquer fièrement le lieu de repos des ossements de mes aïeux.

Dans le plan de Dieu. D’une façon analogue, Dieu a voulu purifier Israël de ses fautes pour le faire revivre dans la gloire de l’Alliance. Selon Isaïe, il s’est servi des armées environnantes comme d’une brosse à récurer pour nettoyer son peuple et le libérer de son péché.

En Jésus, Dieu a voulu que toute l’humanité puisse être plongée dans son Esprit et retrouver sa beauté originelle. Jésus a pris sur lui-même les conséquences du mal que nous avions répandu dans le monde et en a triomphé sur la croix. Dans sa résurrection, il a libéré son Esprit qui, comme une pluie abondante, vient laver et abreuver ceux et celles qui l’acceptent.

Le Chant des rachetés que nous propose Isaïe ne concerne pas uniquement l’avenir promis, mais il célèbre le temps présent. En effet, dès aujourd’hui, les disciples de Jésus peuvent chanter la grâce de puiser constamment aux sources du salut. Oui, nous pouvons jubiler et crier de joie, car « il est grand » au milieu de nous tous, « le Saint d’Israël » !

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).

Psaumes

Psaumes et cantiques

Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.