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Archéologie
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LASKLÉPIEION DE CORINTHE
 

Pieds, mains, têtes, oreilles...

La chronique précédente portait sur l’Asklépiéion de Corinthe, sanctuaire d’Asklépios, dont les trois salles à manger rendaient plus vivantes les discussions de Paul sur la participation de chrétiens à des repas pris dans les temples et la manducation de viandes offertes aux idoles, ou les idolythes (1 Co 8-10). Après avoir brièvement réglé les difficultés entourant le voile des femmes et la célébration du « repas du Seigneur » (1 Co 11), Paul en vient à démontrer la profonde unité de l’Église, malgré la diversité des dons, sans doute parce que les divisions naissaient au sein de la jeune communauté (1 Co 12).

     Dans un texte très bien construit, Paul commence par énumérer un certain nombre de charismes ou dons d’un même Esprit qui concourent à l’édification d’une même vie ecclésiale. La diversité des dons reçoit donc son unité dans une source et un but communs (vv. 1-11). En bon pédagogue, Paul explique cette unité dans la diversité par l’image des différents membres du corps humain, qui constituent un tout à des titres pourtant bien divers; il mentionne le pied, la main, l’oreille, l’œil, la tête et les organes sexuels. Tous sont importants et nécessaires pour la bonne marche de tout le corps; ainsi en est-il de nous tous dans ce seul corps que nous formons dans le Christ, éliminant même les différences raciales et sociales (vv. 12-26). Puis Paul applique cette imagerie aux divers dons de l’Esprit qui se manifestent dans les apôtres, les prophètes, les docteurs, les thaumaturges, les guérisseurs et ceux qui parlent en langues, sans pour autant nuire à l’unité du corps du Christ (vv. 27-30).

Asclépios

Asklépios, dieu grec des guérisons et de la médecine.

     Le même Asklépiéion de Corinthe, que nous avons décrit dans la chronique antérieure, jette une lumière intéressante sur deux traits de cette démonstration de Paul : la double mention des dons de guérison (vv. 9-10.28-30) et la comparaison des membres du corps humain (vv. 14-26).
Le dieu Asclépios des Grecs est bien connu comme le dieu des guérisons et de la médecine. On le représente toujours tenant à la main son symbole : un bâton de voyageur autour duquel s’enroule un serpent, représentant à la fois la mort, par la gravité de sa morsure, et la vie, puisqu’il se régénère annuellement, en changeant de peau. Son fils Télesphore, dont le nom signifie « celui qui donne la plénitude » (santé), est aussi associé à ces mêmes vertus de guérison; même sa fille Hygie (notre mot « hygiène » vient de son nom) personnifie la santé, que son père essaie d’assurer à ses fidèles.

ex-voto

     Très tôt dans l’histoire religieuse grecque, des sanctuaires furent érigés en l’honneur d’Asklépios. On choisit des lieux agréables, de préférence près de sources salubres, dans la vicinité d’un bois, ou encore près de grottes d’où émanent des eaux. On y bâtit évidemment un temple en l’honneur du dieu, mais aussi des bâtiments, couloirs et portiques, où les malades peuvent dormir, car, croit-on, Asklépios apparaît au malade, en songe, pour lui révéler sa guérison et la façon de la réaliser. En signe de reconnaissance pour une telle faveur obtenue, le fidèle laisse un ex-voto au sanctuaire qui peut être une simple inscription de reconnaissance, surtout un petit modèle en terre cuite de la partie de son corps qui a été guérie. On comprend alors facilement que ce soit autour de ces sanctuaires à Asclépios que se soient développées les écoles de médecine, dont les progrès se reflètent en partie dans les pratiques de guérison suggérées par le dieu dans les songes qu’il provoque chez ses fidèles. La plus connue de ces écoles est sans contredit celle de l’île de Cos fondée par le savant Hippocrate, considéré comme le père des médecins.

ex-voto

     L’archéologie a révélé plusieurs de ces sanctuaires en l’honneur de ce dieu guérisseur. Ceux d’Epidaure, en Grèce, et de Pergame, en Asie Mineure, nous ont très clairement informés sur leur structure et leur fonctionnement. On a trouvé quelques vestiges d’une telle installation à Rome, sur l’île du Tibre, en l’honneur d’Esculape, nom latinisé de l’Asclépios grec; même à Jérusalem, depuis le IIe siècle avant J.-C., le culte d’Asklépios est en plein essor — nous reviendrons sur cette découverte dans une prochaine chronique, car elle nous explique certains traits d’un récit de l’évangile de Jean (ch. 5).

     L’Asklépiéion de Corinthe compte parmi ces sanctuaires riches en information sur le culte de ce dieu guérisseur. Nous avons déjà donné le plan de l’ensemble du sanctuaire dans notre première chronique; nous ne reproduisons ici que la partie de la cour devant le temple; elle en était séparée par ce bâtiment qui renfermait des salles à banquets.

     Cette cour à ciel ouvert était bordée sur ses quatre côtés par des portiques spacieux où on pouvait facilement passer la nuit, étendu sur des nattes ou des tapis. L’eau de la source est recueillie dans plusieurs bassins au sud et dans le coin sud-ouest; l’eau joue un rôle important dans ces pratiques de guérison. Surtout, tout autour des bâtiments et à l’intérieur, on a fait la découverte d’un très grand nombre d’ex-voto : des petits modèles en terre cuite de mains et de pieds, de bras et de jambes, d’oreilles et d’yeux, de seins et d’utérus, d’organes génitaux d’hommes et de femmes. Il ne fait aucun doute que le sanctuaire était fréquenté avec beaucoup d’assiduité et, selon toute apparence, avec un certain succès. Paul, après avoir discuté de la présence de chrétiens dans les salles à manger de ce sanctuaire, a pu sans peine proposer sa comparaison des divers dons de l’Esprit dans l’Église à différents membres du corps humain à la vue de tous ces membres épars, laissés là en témoignage de reconnaissance pour une guérison obtenue. L’originalité de l’imagerie de Paul s’explique donc facilement par cette pratique des sanctuaires d’Asklépios. Et nous ne devons pas oublier qu’à deux reprises Paul laisse bien entendre que des chrétiens jouissaient aussi de dons de guérison, grâce à l’Esprit qui crée l’unité de toute l’Église.

Guy Couturier, CSC

Source : Parabole xii/3 (1989).

 

Lire aussi :

Mabel Lang, Cure and Cult in Ancien Corinth. A Guide to the Asklepieion,
American School of  Classical Studies, 1977, 32 p.

Article précédent :
Des travaux et des jours

 

 

 

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