L’inscription de Ponce Pilate. Théâtre romain de Césarée, vers 26-36 de notre ère. Musée d’Israël, Jérusalem.

L’inscription de Ponce Pilate

Guy CouturierGuy Couturier | 16 mars 2007

Une mission archéologique italienne, dirigée par A. Frova, a fouillé le théâtre de Césarée, construit par Hérode le Grand. Lors de la campagne de 1961, elle découvrit une inscription mentionnant Ponce Pilate, qui reste toujours la seule connue à porter son nom. Il est étonnant de voir comment les historiens et les exégètes ont si peu attaché d’importance à cette inscription. Une étude de très grande valeur sur Pilate a su justement souligner l’apport que celle-ci nous fournit pour apprécier la fonction précise de ce cinquième gouverneur romain de Judée (voir J.-P. Lemonon, Pilate et le gouvernement de la Judée, Paris, 1981). La nature et de la portée de cette inscription, conservée au Musée d’Israël, à Jérusalem, mérite que nous nous y arrêtions.

La pierre inscrite est relativement petite (haute de 82 cm, large de 68 cm et épaisse de 21 cm); elle a été réutilisée comme marche d’un petit escalier, à l’époque byzantine (Ve-VIe siècles), donnant accès aux gradins depuis l’orchestre. Cet emploi secondaire explique que la partie gauche de l’inscription ait été totalement meulée, pour permettre d’insérer la pierre dans la base de l’escalier; il en résulte nécessairement quelques incertitudes dans la restitution complète de l’inscription.

reconstitution

Le texte comportait quatre lignes; de la quatrième ligne, il ne reste qu’un accent aigu. La moitié de la partie droite est cependant très bien conservée : on y lit facilement (voir la figure plus haut), ce qui se traduit : « … (un) Tiberium… Ponce Pilate… préfet de Judée… ».

Le « S » devant Tiberium peut être ce qui reste d’un mot faisant référence aux habitants de Césarée. Mais à quoi peut bien correspondre un Tiberium? De toute évidence le nom fait référence à l’empereur Tibère (14-37 après J.-C.), fils adoptif et successeur d’Auguste. L’accent aigu sur le E indique qu’il s’agit d’un monument appelé d’après le nom de l’empereur. Mais quelle peut être la nature de ce monument? Tous ceux qui se sont intéressés à cette inscription ont aussitôt pensé à un temple dédié au « divin Tibère ». On sait qu’Auguste fut divinisé quelques jours après sa mort, et que Tibère veille à lui faire construire des temples et à organiser son culte. Des mouvements naquirent aussitôt pour diviniser aussi, de son vivant, Tibère lui-même. L’Empereur résista poliment à ce vœu, déclarant que ce n’est qu’après sa mort qu’un empereur peut être ainsi honoré, s’il fut un bon empereur; sa volonté ne fut toutefois pas toujours respectée. Mais la formulation même du texte écarte une telle possibilité : pour qu’il puisse s’agir d’un temple, il faudrait que Tibère soit mentionné comme le destinataire (en latin, son nom devrait être un datif comme Tiberio) du monument, ce qui n’est pas le cas. Il ne reçoit donc pas le monument; seul son nom est utilisé pour le définir, comme on utilise le nom du roi Mausole d’Halicarnasse pour désigner un monument funéraire : mausoleum. Nous devons donc plutôt penser à un bâtiment civil que Ponce Pilate vient de faire construire; il fait montre à l’empereur du respect qu’il leur porte en lui donnant son nom. La dimension assez petite de l’inscription confirme d’ailleurs cette interprétation; une inscription dédicatoire identifiant un temple consacré à Tibère devrait être beaucoup plus grande. Voilà pourquoi Lemonon suggère qu’il puisse s’agir plutôt d’une place publique, d’un bâtiment administratif, ou encore d’une colonnade car un portique d’Aphrodisias, en Asie Mineure, portait justement ce nom de Tiberiéum. Le verbe exprimant l’action de Pilate qui était inscrit à la quatrième ligne doit donc être un FÉCIT (« a fait », et non un DEDICAVIT (« a dédié »), comme le suggère la grande majorité des lecteurs.

Le titre officiel que porte Ponce Pilate en tant que représentant romain dans la province de Judée, clairement lisible à la troisième ligne de l’inscription, vient clore une longue discussion entre spécialistes. Philon d’Alexandrie, Tacite et Flavius Josèphe lui donnaient le titre de procurator (epitropos en grec), titre que l’ensemble des historiens ont retenu; le même Josèphe et les auteurs du Nouveau Testament, par contre, ne lui donnent que le titre de chef (hêgemôn en grec), qui semble beaucoup trop vague. Sous les empereurs Auguste et Tibère, le titre de procurator n’impliquait qu’une autorité limitée à l’administration de propriétés impériales, ce qui ne correspondait certainement pas à la fonction exercée par Pilate en Judée. C’est le titre de præfectus (préfet) qui normalement aurait dû lui être octroyé. En effet, ce titre, d’abord attaché à une fonction militaire au temps de César, impliquait l’exercice du pouvoir administratif d’une province, avec juridiction civile et criminelle. Ce n’est que sous Claude (41-54 après J.-C.) que le titre de procurator recouvrait aussi celui de præfectus. L’inscription clôt donc le débat. Ponce Pilate était bien un préfet, et non un simple procurateur comme les anciens historiens nous le laissaient entendre; ces derniers ont tout simplement utilisé le titre usuel à l’époque de leur activité littéraire. Quant au Nouveau Testament, il peut être un simple témoin du flottement de la titulature vers la fin du règne de Tibère et avant l’avènement de Claude, qui ne retint que celui de procurator pour ses administrateurs de provinces du type de celle de Judée. Ainsi, nous pouvons traduire cette inscription mutilée : « Pour les habitants de Césarée un Tiberium … Ponce Pilate … préfet de Judée … a fait ». On voit l’intérêt et l’importance d’une telle inscription, si courte et si brutalement amputée soit-elle.

Clerc de Sainte-Croix, Guy Couturier (1929-2017) était professeur émérite à l’Université de Montréal.

Source : Parabole xii/2 (1989).

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.