(photo © Dafna Gazit / Autorité israélienne des antiquités)

Une inscription portant le nom d’un juge de la Bible ?

Éric BellavanceÉric Bellavance | 20 septembre 2021

Au mois de juillet 2021, le fragment d’une cruche vieille d’environ 3100 ans a été retrouvé à Khirbet el Rai, un site archéologique qui est fouillé conjointement depuis 2015 par Yossef Garfinkel de l’Université hébraïque de Jérusalem, Saar Ganor de l’Autorité israélienne des antiquités, de même que Kyle Keimer et Gil Davies de l’Université Macquarie à Sydney. Khirbet el-Rai est situé à moins de 5 km à l’ouest de l’ancienne cité-État cananéenne de Lachish qui est par la suite devenue la deuxième ville en importance du royaume de Juda avant d’être détruite par les Assyriens à la fin du 8e siècle. D’autres importantes découvertes ont été effectuées à Khirbet el-Rai ces dernières années [1].

 C’est sur Facebook, le 13 juillet 2021, que les archéologues israéliens Yossef Garfinkel et Saar Ganor en ont d’abord fait l’annonce. La nouvelle a ensuite été publiée dans un nouveau journal en ligne à accès libre : le Jerusalem Journal of Archaeology [2]. Ce fragment est intéressant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, on y retrouve cinq lettres écrites à l’encre, dans un alphabet cananéen primitif dont très peu de spécimens ont été retrouvés à ce jour. Les inscriptions datant de l’époque des Juges, qui précède d’environ un siècle l’instauration de la monarchie en Israël (vers la fin du 11e siècle), sont en effet, très rares. Mais plus intéressant encore est le contenu, très bref de l’inscription ; ces cinq lettres semblent être yod, resh, bet, ayin et lamed, donc YRB’L ou Yeroubbaal… Il s’agirait de la premième mention du nom Yeroubbaal en dehors de la Bible. Un nom associé à l’un des plus célèbres juges bibliques : Gédéon! Mais est-ce bien le cas? A-t-on vraiment retrouvé une référence directe au juge Gédéon? Les spécialistes demeurent prudents.

Comme c’est souvent le cas, lorsqu’un artéfact pouvant faire référence à un personnage biblique refait surface, certains médias et sites spécialisés s’emballent un peu trop rapidement. À titre d’exemple, la chaîne de télévision et d’information en continu israélienne i24 news titrait : « Israël : une inscription rare se rapportant au Livre des Juges retrouvée pour la première fois lors de fouilles [3]. » On dit également que l’on peut « clairement distinguer les lettres de l’alphabet hébraïque », alors qu’on ne peut pas parler, à cette époque du moins, d’alphabet hébraïque. Le site Info chrétienne titrait quant à lui : « Découverte d’une inscription d’environ 3100 ans qui fait référence à un personnage biblique [4] ». La revue Biblical Archaeology Review est plus prudente : « Archaeological Evidence of Gideon the Judge? Inscription from the Time of the Judges uncovered at biblical Ziklag [5]. » Qu’il soit ou non question du personnage biblique, un fait demeure : l’inscription semble bel et bien dater de l’époque des Juges, soit du 12e siècle avant J.-C. Selon Haggai Misgav, épigraphiste à l’Université hébraïque de Jérusalem : « D’après la forme des lettres, la datation de 1100 avant notre ère est tout à fait possible [6]. » Or, c’est à peu près à cette époque qu’aurait vécu Gédéon. Les archéologues et les épigraphistes s’entendent donc sur la datation.

Ils ne s’entendent toutefois pas sur le nom inscrit sur le fragment de poterie. En effet, quatre des cinq lettres sont parfaitement visibles. Par contre, la première n’est que partiellement visible. Selon Christopher Rollston, professeur d’épigraphie à l’Université George Washington, il s’agit d’un « yod », l’équivalent de la lettre « y ». C’est, selon lui, la lecture la plus logique. Les spécialistes ne sont toutefois pas tous de cet avis. C’est le cas notamment du professeur Misgav. Selon lui, la première lettre pourrait être un « zayin » (l’équivalent de la lettre « z »). Il souligne également qu’il est impossible de savoir si une ou des lettres précédaient la première lettre du mot [7]. Ce qui complique encore davantage les choses! Il y a donc plusieurs options possibles, comme l’a aussi noté Michaël Langlois, maître de conférences à l’Université de Strasbourg. De nombreux noms de personnes se terminent par « Baal ». Yeroubbaal est une possibilité, mais puisque le « yod » est incertain, d’autres noms, attestés ailleurs, pourraient être envisageables. Comme Azrubaal, Zekharbaal, Maribaal, etc. Il faut donc être prudent en raison de la première lettre qui, pour le moment, ne peut être formellement identifiée. Il faut aussi garder à l’esprit que si cette lettre n’est pas un « yod », il n’y a pas de parallèle possible à faire avec ce personnage biblique… Par ailleurs, qui était ce Yeroubbaal du livre des Juges?

Qui était Gédéon/ Yeroubbaal?

Gédéon est particulièrement connu dans la Bible pour avoir vaincu les Madianites [8]. Il se serait auparavant attiré les foudres des gens de son clan après avoir détruit, pendant la nuit, un autel dédié à Baal puis sacrifié un taureau en utilisant le bois d’un pieu sacré consacré à la déesse Ashérah… Les habitants se seraient plaints à son père Yoash qui leur aurait rétorqué : « Est-ce à vous de plaider pour Baal? Est-ce à vous de venir à son secours? […] Si Baal est dieu, qu’il plaide lui-même sa cause puisque Gédéon a renversé son autel. » (Jg 6,31 selon la TOB 2010). Le surnom de Gédéon viendrait d’un jeu de mot faisant référence à cet événement : « Ce jour-là, on appela Gédéon : Yeroubbaal, en disant : « Que Baal plaide sa cause contre lui », puisqu’il a renversé son autel. » (Jg 6,32) La Bible TOB note avec justesse que le nom Yeroubbaal, « dont le sens primitif est probablement Baal plaide pour lui est ici pris dans le sens inverse [9]. » Il pourrait donc s’agir, à l’origine, d’un nom cananéen. Le fait que le surnom de Gédéon fasse référence à Baal devait poser problème. Surtout après que Gédéon ait été présenté comme un défenseur du culte de YHWH. Il est possible que l’auteur biblique ait ajouté cette note explicative pour faire oublier qu’il s’agissant d’un nom cananéen. Le narrateur doit aussi préciser que Yeroubbaal et Gédéon sont une seule et même personne : « Yeroubbaal – c’est Gédéon – se leva de bon matin […] » À noter que dans la suite du chapitre, qui relate la campagne de Gédéon contre les Madianites, le nom « Yeroubbaal » n’est plus utilisé. Plus loin, à la fin du chapitre 8, les deux noms semblent interchangeables. Bref, sans trop aller dans les détails, il semble y avoir une certaine confusion. Est-ce vraiment la même personne? Selon la TOB, il pourrait s’agir de deux personnages distincts, provenant du même village d’Ofra, situé dans le territoire de Manassé. Quoi qu’il en soit, il semble clair que le ou les auteurs bibliques voient un lien entre les deux noms.

Bref, il est impossible pour le moment de trancher, d’un côté comme de l’autre. Rien ne permet de rejeter formellement l’hypothèse qu’il pourrait bel et bien s’agir du personnage biblique évoqué dans le livre des Juges. L’inscription date bel et bien de l’époque des Juges. Mais, comme l’a souligné Nathan Steinmeyer, le lieu de la découverte ne correspond pas à la région où aurait vécu Gédéon, soit autour de la vallée de Yizréel et de la région de Shechem, qui correspond au territoire qu’aurait occupé la tribu de Manassé. En raison de l’éloignement géographique (plus de 150 km), il s’agit probablement d’un autre Yeroubbaal [10]. En admettant que le nom sur le tesson soit bel et bien Yeroubbaal et non Zeroubbaal ou autre!

Gédéon ou pas, une inscription importante!

Même s’il est impossible de prouver que le nom retrouvé sur ce fragment de cruche fasse référence au Yeroubbaal biblique, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une découverte importante qui nous permet d’en savoir un peu plus sur l’évolution de l’écriture alphabétique qui se développe dans la région vers le 12e siècle, une période assez mal connue, faute d’inscriptions. Comme le souligne Michaël Langlois au journal israélien Times of Israel : « Pendant des décennies, on ne trouvait pratiquement aucune inscription de cette époque et de cette région. Au point que nous ne savions même pas à quoi ressemblait l’alphabet de cette époque. Il y avait un vide [11]. » Cette inscription permet donc, non pas de combler ce vide entièrement, mais de suivre l’évolution de l’alphabet cananéen vers l’alphabet hébraïque.

Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

[1] Une statuette du dieu cananéen Baal et une autre représentant un jeune taureau y ont entre autres été retrouvées. À ce sujet, voir notre article : http://www.interbible.org/interBible/decouverte/archeologie/2020/archeologie_20200608.html
[2] Rollston, C., et al., 2021. « The Jerubba‘al Inscription from Khirbet al-Ra‘i: A Proto-Canaanite (Early Alphabetic) Inscription. » Jerusalem Journal of Archaeology, 2, pp. 1-15.
[3] https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/1626080843-israel-une-inscription-rare-se-rapportant-au-livre-des-juges-retrouvee-pour-la-1ere-fois-lors-de-fouilles
[4] https://www.infochretienne.com/israel-decouverte-dune-inscription-denviron-3-100-ans-qui-fait-reference-a-un-personnage-biblique/
[5] https://www.biblicalarchaeology.org/daily/biblical-artifacts/inscriptions/archaeological-evidence-of-gideon-the-judge/
[6] Amanda Borschel-Dan, « Une inscription vieille de 3 100 ans pourrait être le nom d’un juge biblique » https://fr.timesofisrael.com/une-inscription-vieille-de-3-100-ans-pourrait-etre-le-nom-dun-juge-biblique/ (Times of Israel, 19 juillet 2021)
[7] Times of Israel, 19 juillet 2021.
[8] Le pays de Madian est situé du côté sud-est du Jourdain.
[9] TOB (2010), note de Juges 6, 32.
[10] « Archaeological Evidence of Gideon the Judge? Inscription from the Time of the Judges uncovered at biblical Ziklag », Biblical Archeology, July 15, 2021.
[11] Times of Israel, 19 juillet 2021. https://www.timesofisrael.com/five-letter-inscription-inked-3100-years-ago-may-be-name-of-biblical-judge/

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.