Vue aérienne de tell Lakish (Daniel Baránek / Wikimedia).
Lakish et son histoire
Robert David | 28 octobre 2024
Le site de Lakish se trouve à la frontière entre la Judée et la plaine côtière. Il marque cette limite dans la région Sud-Ouest de la Judée, proche des routes qui menaient de la côte à la région d’Hébron, dans la montagne judéenne. Sa situation stratégique, son approvisionnement en eau et la fertilité des plaines environnantes, en ont fait un site important durant la période vétéro-testamentaire.
On a longtemps cru que Lakish se trouvait à tell el-Hesi, site un peu au Sud-Ouest de Lakish mais, depuis les années 1930, presque tous les archéologues s’entendent pour localiser Lakish au tell ed-Duweir. Ce site est lié à l’histoire du royaume de Juda de façon dramatique, comme vous pouvez le lire dans un autre article.
Les moments marquants de son histoire
Le site est occupé dès l’époque chalcolithique (environ 4000 avant notre ère) dans des grottes le long du tell. Cette occupation se poursuit durant l’Ancien bronze. Au Moyen bronze, une ville est érigée sur le tell mais il en reste peu de traces car elle a été détruite par les Égyptiens. Cette occupation s’étend de 1700 à 1550 environ.
Au 14e siècle avant notre ère (Récent bronze), une cité florissante renaît sur la colline et c’est peut-être la plus importante ville cananéenne après Hatsor. La cité est mentionnée à quelques occasions dans les lettres d’el-Amarna et semble occuper une place de choix dans la portion Sud du pays. Chose étonnante, elle n’est pas fortifiée. Peut-être est-elle sous contrôle égyptien.
Au 12e siècle avant notre ère, cette cité cananéenne est détruite par le feu. Il est difficile de préciser par qui. La Bible attribue cette destruction aux troupes de Josué (Josué 10,31-32) mais cette association est difficile à soutenir. Il est plus probable que ce sont les Peuples de la Mer (Philistins) qui ont détruit la ville alors qu’ils s’installent dans la région immédiate, à l’Ouest.
Au 10e siècle avant notre ère, Lakish devient une cité israélite. Une partie de la ville est reconstruite à l’époque de la royauté unifiée (strate V) mais les textes n’en parlent pas. Elle a peut-être été détruite à nouveau par les troupes du pharaon Shéshonk en 925. La cité est toutefois rapidement reconstruite et fortement fortifiée à l’époque de la royauté divisée (strate IV). Peut-être sert-elle de poste frontière entre la Judée et la Philistie. On ne s’entend pas cependant sur la date exacte de cette reconstruction : entre 928 (sous le règne de Roboam) et 870 (sous le règne de Josaphat).
Au 8e siècle, la ville est de nouveau détruite mais la cause nous est inconnue. Il est possible qu’un tremblement de terre survenu en 760 en soit la cause (voir Amos 1,1 ; Zacharie 14,5). C’est à cette époque que 2 Rois 14,19 raconte l’épisode de la fuite du roi Amasias (798-769) à Lakish et sa mise à mort dans cette ville.
Bas-relief du palais sud-ouest de Ninive, sur la prise de Lakish (Wikipédia).
En 701, les troupes assyriennes, avec Sénnachérib à leur tête, prennent la cité et la détruisent. La population est déportée et les troupes ennemies font de Lakish leur base à partir de laquelle ils tenteront l’assaut contre Jérusalem et son roi, Ézéchias (2 Rois 18,13-17 ; Isaïe 36,2 ; 37,8). La prise de Lakish est rendue célèbre par les bas-reliefs assyriens qui dépeignent cet assaut.
Au 7e siècle, une petite ville fortifiée occupe le sommet du tell. C’est de cette phase d’occupation que nous viennent les fameux ostraca ou lettres de Lakish.
En 587, la ville est détruite par les troupes babyloniennes de Nabuchodonosor (voir Jérémie 34,7).
Finalement, au 5e siècle, une petite ville perse est construite sur le site. Elle sera aussi occupée à l’époque hellénistique mais Lakish ne joue plus un rôle important. Elle sera abandonnée au 2e siècle avant notre ère et ne sera plus occupée.
Lakish et les archéologues
Les fouilles de Lakish se sont étendues sur plusieurs décennies. Ce furent d’abord les Britanniques qui entreprirent les fouilles sous la gouverne de J.L. Starkey en 1932. Elles se terminèrent abruptement quand il fut assassiné en 1938. Il aura eu le privilège de découvrir les fameuses lettres de Lakish en 1935 (voir l’encadré ci-contre), à la porte de la ville. Ces fouilles britanniques furent très imposantes et révélèrent quelques-unes des plus importantes structures du site.
Y. Aharoni fit quelques petites fouilles entre 1966 et 1968, mais c’est entre 1973 et 1987 que la plus longue période de fouilles fut menée par une équipe israélienne conduite par D. Ussishkin. Leurs travaux allaient confirmer ceux de l’équipe britannique et révéler quelques nouvelles structures.
Si l’histoire de Lakish est poignante, la visite du site elle, est un peu décevante. Il reste peu de choses des constructions anciennes, les destructions massives des conquérants n’ayant souvent laissé que des bribes de constructions. Nous nous attarderons donc sur les plus importantes découvertes encore visibles sur le site.
La superficie du tell est de 31 acres, ce qui en fait l’un des plus grands sites en Israël. Sa forme conique, caractéristique des tells, lui vient de la présence des murailles construites sur son pourtour. Le dessus, passablement plat, est également très caractéristique.
Finalement, au 5e siècle, une petite ville perse est construite sur le site. Elle sera aussi occupée à l’époque hellénistique mais Lakish ne joue plus un rôle important. Elle sera abandonnée au 2e siècle avant notre ère et ne sera plus occupée.
Ruines du palais (Mark A. Wilson / Wikipédia)
Sur le dessus du tell, on distingue un renflement, une sorte de plate-forme qui occupe une bonne partie de cette section. C’est l’emplacement du palais-forteresse et du temple de l’acropole. Complètement à gauche de la photo aérienne, dans le bas du tell on voit une forme creuse entre le tell et la route. C’est là que se trouve le temple-fosse de l’époque du Récent bronze.
Plan du site
Ce plan permet de localiser facilement les éléments que nous venons de pointer sur la vue aérienne : la porte de la ville, le temple de l’acropole sous le palais-forteresse et la temple-fosse en dehors du tell lui-même. Notez le mur double qui ceinture le sommet. Ce n’est pas tout à fait un mur à casemates, mais il protège doublement la ville.
Les autres structures découvertes par les Britanniques et les Israéliens se trouvent du côté Est du site. Au Sud-Est on a dégagé un grand puits (22 m x 25 m et profond de 22,5 m) inachevé que certains ont pris pour un système d’approvisionnement en eau, mais que d’autres considèrent comme une carrière ayant permis d’extraire les pierres nécessaires à la construction de la grande plate-forme.
Au Nord-Est de la grande plate-forme centrale, on a découvert un autre temple que les fouilleurs ont qualifié de chapelle du Soleil. Il s’agit d’un temple de la période perse ou hellénistique.
Derniers mètres de la rampe d’accès (Mark A. Wilson / Wikipédia).
La rampe d’accès et la porte de la cité
À flanc de tell, une rampe conduisait à la porte de la ville. Cette rampe est faite de pierres agencées les unes sur les autres, sans mortier. Elle suit tout le long du tell avant d’arriver à la première porte de la ville. Une particularité de cette rampe mérite d’être soulignée : elle oblige d’éventuels assaillants à montrer leur côté droit, celui qui n’est habituellement pas protégé par le bouclier. L’ennemi devenait ainsi tout à fait vulnérable aux flèches lancées depuis la muraille. On observe un système à peu près semblable à Megiddo.
Vue aérienne de la porte à tenailles (photo © Guy Fitoussi / AAI).
Au sommet de cette rampe, on franchit une première structure fortifiée. On bifurque de 90 degrés vers la droite, on passe entre les deux murs de la ville avant de pénétrer dans la ville elle-même, non sans avoir franchi auparavant la porte à trois tenailles qui la garde. C’est un système défensif extrêmement efficace comme le constateront les Assyriens en 701.
Une fois la porte franchie, on se retrouve au cœur de l’acropole où trône le palais-forteresse au sommet de sa plate-forme. Il ne reste rien aujourd’hui du palais. Seule la grande plate-forme a été conservée sur une certaine portion ainsi que les restes de ce que certains ont identifiés comme étant des entrepôts, du même type que ceux trouvés à Megiddo et à Beersheba. Cette grande plate-forme et sa forteresse ont très certainement servi de résidence aux gouverneurs royaux de la région.
Présentation isométrique de la porte de Lakish (photo © Madain Project)
Cette reconstitution détaillée de la porte de Lakish nous permet d’apprécier la qualité du système défensif. C’est la plus importante porte de ville trouvée jusqu’à maintenant en Israël et en Palestine. La cour centrale qui sépare la première porte de la porte à tenailles mesure 25 m x 25 m. On pouvait certainement se servir de cette grande place pour y faire du commerce et éviter ainsi de voir les animaux se promener dans la ville. La construction ancienne reposait sur des fondations de pierres mais les murs étaient faits de briques. Imaginez-vous tentant d’entrer de force par ici. C’était virtuellement et concrètement impossible.
C’est dans cette région de la porte de la ville que Starkey a trouvé une série de lettres (les ostraca de Lakish) qui présentent une correspondance qui était destinée à un certain Yaush, commandant de Lakish, juste avant la conquête de la ville par les babyloniens (587). C’est grâce à l’une de ces lettres qu’on sait que la cité était dotée d’un système de signaux visuels qui avait été mis en place entre les différents sites des alentours. On pouvait ainsi les voir depuis Lakish, interpréter ces signaux en fonction des conventions entendues et agir en conséquence.
Plan du temple
Le temple de l’acropole
Au sommet du tell, sous une partie de la grande plate-forme qui allait recevoir plus tard le palais-forteresse, on a retrouvé les restes d’un temple de la période cananéenne (Récent bronze), sorte de prototype de ce qui allait être le temple tripartite de Jérusalem à l’époque de Salomon.
Le plan présente la majeure partie du sanctuaire. Les murs en noir ont été retrouvés, les pointillés sont des reconstitutions. Le temple était orienté, c’est-à-dire que sa partie la plus sacrée se trouvait à l’Est. On accédait au sanctuaire en passant d’abord dans une pièce possédant un dallage de galets (1 sur le plan). Après avoir franchi quelques marches, on entrait dans un grand hall (le saint), pièce rectangulaire de 13 m par 16 m qui avait, au centre, deux importantes colonnes (2). Celles-ci supportaient des poutres de cèdre du Liban. Au fond de cette pièce on pouvait accéder au Saint des saints surélevé en montant une série de marches. Le Saint des saints n’a pas survécu aux constructions subséquentes.
À gauche de l’escalier, on aperçoit trois cercles qui représentent trois petites colonnes. Celles-ci délimitaient peut-être des niches où l’on pouvait placer des statuettes de divinités. À droite de l’escalier conduisant au Saint des saints on a trouvé un bassin plâtré imperméabilisé, qui a pu contenir des liquides destinés aux ablutions. Une salle se trouvait aussi à gauche des petites colonnes (5) et l’on pouvait peut-être accéder à une autre pièce via une ouverture pratiquée dans le mur Nord.
Le temple n’a fourni que peu d’artéfacts mais ceux qui y ont été trouvés ne laissent planer aucun doute quant à la fonction cultuelle de l’édifice, des représentations de divinités cananéennes ainsi que des bols cultuels ayant été découverts à l’intérieur de l’édifice.
Il est intéressant de voir comment étaient construits les sanctuaires cananéens contre lesquels les prophètes allaient se battre pour la suprématie du dieu national, YHWH. On voit cependant que les emprunts architecturaux allaient permettre aux Israélites de construire leur sanctuaire national en suivant, d’une certaine manière, les techniques des Cananéens. Du point de vue pratique, les deux systèmes religieux n’étaient pas très éloignés l’un de l’autre. Ils différaient cependant sur des questions fondamentales.
Le temple-fosse de Lakish
À l’extérieur de l’enceinte de la ville, donc hors les murs, Starkey et son équipe ont découvert un temple datant de la période du Récent bronze. Le fait qu’il soit à l’extérieur de l’enceinte murée ne cause pas problème car la ville n’était pas fortifiée à cette époque. Les fouilles minutieuses de ce temple ont permis d’identifier trois phases de construction soit la phase I de 1550-1450, la phase II de 1450-1350 et la phase III de 1350-1250.
En dégageant la structure, les archéologues ont distingué le bama ou haut-lieu. Des marches permettaient d’accéder à la plate-forme où devait se tenir la statue de la divinité. À gauche de la plate-forme, on a dégagé la base d’une grosse jarre qui servait à recevoir les restes des sacrifices. Juste devant le bama, aux pieds de celui-ci, on distingue une cavité dans le sol. Celle-ci devait recevoir les liquides qui s’écoulaient des sacrifices.
Le bama de la troisième phase fait partie d’un sanctuaire beaucoup plus vaste qu’il est plus facile d’imaginer en consultant sa représentation isométrique.
Reconstitution isométrique du temple-fosse de Lakish
Le bama se trouve à peu près au centre du dessin, avec l’escalier et le petit bassin devant. Le temple se trouve dans un axe Nord-Sud, l’entrée se faisant côté Sud. Une fois franchie une petite pièce isolant la partie sacrée du reste de la ville profane, on accède à une grande salle de 10 m par 10 m dont le toit était supporté par quatre colonnes. D’autres petites colonnes pouvaient supporter le toit près du bama et dans une pièce arrière. Sur les murs de côté on avait aménagé de petites niches qui pouvaient recevoir de petites statues de divinités locales. À la base de ces niches on avait aussi aménagé de petites banquettes sur lesquelles on pouvait déposer les offrandes aux divinités.
Le temple-fosse de la troisième phase a été passablement bien conservé (mais on ne le voit presque plus aujourd’hui tellement la végétation a pris le dessus) et beaucoup d’objets cultuels y ont été trouvés dont des poteries importées de Mycènes et de Chypre, des objets en ivoire, des faïences, des bijoux, des scarabées et des figurines. La richesse de ces découvertes permet d’imaginer ce que les gens étaient prêt à offrir aux dieux nationaux et locaux.
Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.