(Max LaRochelle / Unsplash)

La colère de Yahvé

Sylvain CampeauSylvain Campeau | 28 septembre 2020

Hébreu : aph du verbe ânaph (souffler, aspirer) relié au nez
Grec : orgè du verbe orizô (se mettre en colère) ; thymos signifiant litt. le souffle pour exprimer la fureur

La colère divine exprime une conviction essentielle des rédacteurs de la Bible hébraïque : Dieu n’est pas insensible au sort de son peuple. S’il est menacé par de puissants ennemis, sa colère s’enflamme contre les peuples qui menacent Israël. Et si le peuple qu’il chérit se détourne de l’Alliance, Yahvé s’indigne contre lui. Comment comprendre cette « colère » et comment la concilier avec la miséricorde divine? Telles sont les questions qui guideront notre brève enquête.

Le dieu au « nez brûlant »

Plusieurs divinités syro-palestiniennes sont représentées par le taureau, un animal puissant dont on perçoit la colère à son souffle rauque qui siffle à travers ses narines et au nuage de poussière qu’il fait lever en frappant un sabot sur le sol. Le mot hébreu qui désigne la colère est d’ailleurs en lien avec le souffle et le nez. Une manifestation comme celle du livre de l’Exode où la présence divine s’accompagne de fumée et de vibrations du sol n’est sans doute pas étrangère à l’image bovine (voir Exode 19,16-19).

La réaction humaine devant le taureau en colère est la crainte et les tremblements. Devant la colère de Yahvé s’ajoute la soumission comme en témoigne cette mise en garde :

C’est le Seigneur ton Dieu que tu craindras, c’est lui que tu serviras, c’est par son nom que tu prêteras serment. Vous ne suivrez pas d’autres dieux parmi ceux des peuples qui vous entourent, car le Seigneur ton Dieu est un Dieu jaloux au milieu de toi. Prends garde que la colère du Seigneur ton Dieu ne s’enflamme contre toi, et qu’il ne t’extermine de la surface de la terre. (Deutéronome 6, 13-15)

Cette colère de Yahvé qui se retrouve dans tous les livres bibliques présente plusieurs facettes et des harmoniques qui laissent deviner une évolution de la mentalité religieuse de l’ancien Israël [1].

Yahvé, défenseur de son peuple

Comme les peuples voisins, Israël s’attend à ce que Dieu le protège contre ses ennemis. Il pense pouvoir canaliser la colère de Yahvé vers les autres peuples. À travers des rites complexes, les anciens Israélites croient pouvoir utiliser la colère de Yahvé comme un instrument de conquête. C’est probablement sur cette base que s’est construite l’image du « Dieu des armées » (Yahvé Sabaot) que l’on rencontre dans la littérature prophétique.

Le vent tourne cependant avec la montée des empires assyrien et néo-babylonien. Amos est le premier prophète à annoncer que le « Jour de Yahvé » ne sera pas un jour de victoire mais le moment où la colère de Yahvé sera dirigée contre son peuple : « Il arrivera ce jour-là – oracle de Yahvé, mon Dieu – où je ferai se coucher le soleil en plein midi et enténébrerai la terre en plein jour. » (8,9)

On voit alors les premières défaites contre l’Assyrie et la chute de Samarie, capitale du royaume du Nord, qui est suivie d’une première déportation de la population. Des villes du royaume de Juda comme Lakish [2] subissent ensuite le même sort, le Temple est détruit et la classe dirigeante du royaume du Sud est aussi exilée.

Colère, châtiment et… miséricorde

L’exil est une épreuve sans précédent dans l’histoire de l’ancien Israël. La colère de Yahvé semble devenue permanente pour les exilés qui se demandent ce qu’ils doivent faire pour que leur nuit prenne fin. Plutôt que d’abandonner Yahvé et se tourner vers les dieux étrangers, les Israélites adoptent une attitude de soumission accrue face aux commandements. Et c’est probablement à ce moment que commence à se développer l’idée de la « pédagogie divine » : les peuples étrangers sont des instruments dans la main de Yahvé pour faire cheminer les enfants d’Israël.

Fidèle à son Alliance, Yahvé éduque son peuple ; les événements tragiques qui ont accablé Israël lui révèle son péché. Avec le retour des exilés, l’espérance renaît et le respect de la Loi et des commandements devient un enjeu important pour les sages et les chefs religieux. En d’autres termes, si la colère de Dieu est un révélateur, pour le peuple, d’un comportement à modifier, la conversion est une exigence qui provoque la miséricorde divine. Après l’épisode du veau d’or et le renouvellement de l’alliance, Moïse ne proclame-t-il pas sa foi au « Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté » (Exode 34,6)?

Diplômé de l’Université de Montréal, Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.

[1] Pour une étude plus détaillée sur cette question, voir : Daniel Faivre, « YHWH, le dieu au “nez brûlant” », dans La colère et le sacré. Recherches franco-brésiliennes, Besançon, Institut des sciences et techniques de l’Antiquité, 2000, pp. 141-168.
[2] La prise de la ville est illustrée sur les murs du palais de Sennachérib. Voir : Robert David, « La destruction de Lakish ».

Les mots pour le dire

Les mots pour le dire

Quand nous lisons la Bible, plusieurs mots importants sont chargés de sens et il est nécessaire de s'y arrêter pour en comprendre toute la richesse. C'est ce que nous proposons dans cette rubrique.

taureau

Le taureau

Le taureau est un animal très important dans les religions du Proche-Orient ancien. Il est fortement associé au monde divin et la Bible conserve des traces de cette association. L’épisode du veau d’or est bien connu mais voici un autre exemple : « Il est repoussant ton veau, Samarie! […] Il vient d’Israël, un artisan l’a fait, il n’est pas Dieu ; oui, le veau de Samarie s’en ira en morceaux. » (Osée 8,5-6) L’archéologie nous a également conservé des traces de cette association : on pense ici aux autels à cornes et au statuettes bovines trouvées en Israël.

Statuette en argent d’un taureau hittite, British Museum (Wikimedia).