L’adoration des mages. Pierre Paul Rubens, 1624. Huile sur panneau de bois, 447 x 336 cm. Musée royal des Beaux-Arts, Anvers (Wikipedia).

L’adoration des mages selon Rubens

Sylvain CampeauSylvain Campeau | 23 décembre 2019

L’adoration des mages est le tableau que Pierre-Paul Rubens a le plus représenté [1]. Celui retenu ici, peint en 1624, met en scène l’hommage des visiteurs venus d’Orient au roi qui vient de naître et évoque leur long voyage en montrant une partie de leur cortège et de leurs montures.

Le premier des mages, vêtu de blanc, au centre inférieur du tableau, est agenouillé aux pieds de l’enfant et de sa mère. Il tient un encensoir d’allure liturgique et son regard est porté sur l’enfant. Derrière lui, le plus âgé est vêtu d’un manteau rouge et apporte deux vases en or. Le troisième est au centre du tableau et porte un turban et un manteau vert. C’est le mage qui, traditionnellement, apporte la myrrhe. Les visiteurs sont accompagnés de serviteurs et de soldats. Joseph est en retrait et dans la pénombre à droite de la scène. Marie est assise et surveille Jésus posé sur ses genoux ; la mère et l’enfant sont en pleine lumière. Un bœuf, au bas du tableau, semble indiquer que nous sommes dans une étable. Certains voient dans les éléments architecturaux d’arrière-plan les ruines du palais de David.

Adoration des mages selon Rubens

Les textes

Le récit de l’adoration des mages vient de l’Évangile selon Matthieu (2,1-12). L’évangéliste Luc raconte plutôt une adoration des bergers (Luc 2,8-20). Dans le récit du premier évangile, des mages venus d’Orient se sont déplacés en suivant une étoile pour rendre hommage au roi venant de naître, en passant par le palais d’Hérode à Jérusalem. L’étoile réapparaît et les conduit ensuite dans une maison de Bethléem. Ils offrent à l’enfant des cadeaux dignes d’un roi – or, myrrhe et encens – et s’en retournent par un autre chemin pour éviter de croiser Hérode. C’est surtout le verset 11 de ce récit qui a inspiré l’artiste.

Ils entrèrent dans la maison et ils virent l’enfant avec sa mère, Marie. Ils se prosternèrent pour lui rendre hommage. Ils ouvrirent leurs coffrets et présentèrent à l’enfant les cadeaux : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Mais un élément du tableau est étranger au récit : la présence du bœuf qui provient de l’Évangile de l’Enfance du pseudo-Matthieu 14. Ce texte apocryphe du VIIe siècle ajoutent certains détails aux récits de l’enfance dont la présence de l’âne et du bœuf qu’on retrouve encore dans nos crèches de Noël. Cette présence animale est expliquée par l’auteur de l’apocryphe en se référant à deux textes prophétiques. La deuxième référence (Habacuc 3,2 selon la Septante) est la plus pertinente : « J’ai considéré tes œuvres, et je me suis extasié. Entre deux animaux tu te manifestes ; quand les années seront proches, on te connaîtra ; quand les temps seront venus, tu apparaîtras ; quand mon âme est troublée de ta colère, souviens-toi de ta miséricorde. » C’est le thème de l’adoration qui a sans doute incité le pseudo-Matthieu à intégrer ces animaux dans son récit car il écrit : « Le bœuf et l’âne, fléchissant les genoux, adorèrent [l’enfant] ».

Adoration des mages selon Rubens

L’interprétation picturale

L’adoration des mages et l’un des thèmes les plus anciens et les plus représentés du Nouveau Testament. On le retrouve, par exemple, dans la catacombe de Priscille à Rome (deuxième moitié du IIIe siècle), dans d’autres catacombes et sur des sarcophages anciens de la même ville. Le peintre Rubens reprend ici cette tradition à la demande de l’abbé Matthias Yrsselius pour orner le maître-autel de l’abbaye Saint-Michel d’Anvers.

Jésus et Marie ne sont pas au centre du tableau mais tous les regards sont tournés vers eux et ils sont en pleine lumière. Malgré sa proximité, Joseph est dans l’ombre ; il s’agit ici d’un contraste lumineux qui caractérise bien l’art baroque. Ce détail est conforme au texte où Joseph n’est pas mentionné et n’a aucun rôle contrairement aux récits qui encadrent l’adoration des mages dans l’évangile selon Matthieu : Joseph et la visite d’un ange (1,18-25) et la fuite en Égypte (2,13-15). Joseph est représenté sous les traits d’un vielle homme barbu, un héritage d’un autre évangile apocryphe : le Protévangile de Jacques.

Comme le veut la tradition, Marie est vêtue d’une robe rouge, d’un manteau bleu et d’un voile. Jésus ne ressemble pas à un nouveau-né mais à un poupon curieux, intéressé par la présence des visiteurs. Il est nu, couché sur son lange et retenu par les mains de sa mère. Il semble en mouvement comme plusieurs personnages du tableau.

Le texte de Matthieu ne précise pas le nombre des mages et ne dit pas qu’ils étaient rois. Mais la tradition occidentale a rapidement fixé leur nombre à trois et la relecture de certains textes de l’Ancien Testament (Isaïe 60,3 et Psaume 72 par exemple) a permis de leur attribuer le titre royal. À partir du XIIe siècle, on a représenté les mages en évoquant les trois âges de la vie, comme on peut le voir dans le tableau. L’origine des mages s’est précisée avec le temps et à partir du XVe siècle, on en faisait les représentants des trois continents connus à cette époque : Asie, Afrique et Europe.

Dans le tableau de Rubens, les mages ne portent pas de couronne mais sont vêtus de vêtements somptueux dont les couleurs respectent la tradition : le blanc, le rouge et le vert. Leurs vêtements sont un reflet des modes vestimentaires de l’époque du peintre et servent à les distinguer des autres personnages. Comme on peut le constater en comparant le tableau et la représentation de la catacombe de Priscille (voir l’encadré ci-contre), la représentation des mages a évolué avec le temps. Alors que seule la couleur permettait de les distinguer à l’origine, ils ont une personnalité mieux définie dans le tableau du maître. Depuis le Xe siècle, ils ont d’ailleurs chacun un nom – Gaspard, Melchior et Balthazar – dérivés d’un troisième apocryphe : l’Évangile arménien de l’Enfance. Gaspard est vêtu de blanc et apporte l’encens ; c’est un homme d’âge mûr qui représente le continent asiatique. Le vieillard européen vêtu de rouge derrière lui est Melchior et offre l’or. Au centre du tableau, on veut voir le plus jeune, Balthazar, qui apporte la myrrhe et dont l’expression est la plus étonnante.

La présence du bœuf dans le tableau est surprenante car elle contrevient à une recommandation du Concile de Trente (1563) qui en avait interdit la représentation (ainsi que celle de l’âne) dans les scènes évoquant les récits de l’enfance. L’interdiction a été respectée dans la majeure partie des cas à la fin du XVIe siècle et au siècle suivant mais l’âne et le bœuf sont réapparus ensuite. Certains critiques expliquent ainsi la présence de l’animal dans le tableau : le bœuf est un symbole de la foi, une grâce qui est offerte non seulement au peuple juif mais à toutes les nations. Pour conclure, une dernière observation. Le bœuf ne regarde pas la scène mais semble plutôt fixer celui qui observe le tableau : on peut y voir une interpellation pour se joindre au mouvement d’adoration des autres personnages.

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.

[1] Michael Jaffé (Rubens : Catalogo Completo, 1989) dénombre 15 représentations du récit de l’adoration des mages. L’encyclopédie libre Wikipédia présente les cinq plus célèbres.

rosette

Bible et culture

Zone franche de dialogue entre la Bible et la culture (arts, cinéma, littérature, télévision, campagne publicitaire, etc.). Cette rubrique vous propose réflexions ou commentaires à la croisée de ces deux univers.

« La catacombe de Priscille est le témoin d’une tradition picturale simple qui variera peu au cours des siècles : Marie, assise à droite de la scène, porte l’enfant dans les bras, tandis que les mages arrivent l’un derrière l’autre d’un pas alerte. Ils sont identiquement vêtus d’une tunique courte et du bonnet phrygien qui signale leur origine orientale ; seule la couleur les différencie : l’un est vêtu de vert, le second de rouge et le troisième de blanc. »

Éliane et Régis Burnet, Pour décoder un tableau religieux. Nouveau Testament, Paris, Cerf ; Montréal, Fides, 2006, p. 21.