La Dormition de la Vierge. Théophane le Grec, 1382. Tempera et or sur bois. Galerie Tretiakov, Moscou (Wikipedia).

La Dormition de la Mère de Dieu

Luc CastonguayLuc Castonguay | 17 mai 2021

Les catholiques fêtent l’Assomption de Marie tandis que les orthodoxes fêtent sa Dormition. Bien plus qu’une simple mésentente sur les termes, ce litige est au cœur d’une profonde dissension théologique.

Cette fête est la dernière de la série des fêtes mariales (la Nativité de Marie, la Présentation de Marie au Temple, l’Annonciation) et des douze fêtes majeures de la  liturgie orthodoxe. La Nativité de la Vierge commence l’année liturgique orthodoxe et La Dormition la termine. Celle-ci commence le 1er septembre, car selon le calendrier julien, septembre est le premier mois de l’année. Au tout début de la chrétienté, cette fête était célébrée le 16 janvier (notre 29 janvier) mais elle fut déplacée très tôt au 15 août pour qu’elle puisse ainsi clore l’année liturgique. Plus près de nous, le 15 août marque aussi la fête nationale des Acadiens, car ceux-ci ont choisi Notre-Dame de l’Assomption pour patronne.

Un peu d’histoire

Le peintre de l’icône représentée, Théophane le Grec, est un iconographe réputé de la tradition byzantine du 14e siècle. Il a travaillé sur plusieurs projets avec Andreï Roublev à qui l’on doit la célèbre icône de La Trinité.

Les évangiles ne citent pas cet évènement. On le retrouve dans des écrits apocryphes que la vénération mariale, apparue très tôt dans la chrétienté, a inspiré : « le pseudo Jean au 5e siècle, le pseudo Jacques et le pseudo Meliton au 6e siècle relatent avec de légères variantes les dernières années de la vie et de la mort de la Vierge Marie [1]. »

En outre le Synaxaire orthodoxe raconte que « trois jours avant sa mort, un ange vient annoncer à la très sainte Mère de Dieu que son divin Fils voulait la rappeler à lui [2]. » C’est alors en toute quiétude qu’elle se prépare à l’évènement. « La tradition orientale […] insiste sur la douceur de la mort de Marie, tel un endormissement [3]. »

Un peu de technique

Nous sommes ici devant une icône datant du 14e siècle qui brille par sa sobriété. Un décor obscur qui fait entrer le regardeur dans une mise en scène mortuaire et, au lieu d’être triste, la sombre atmosphère semble reposante.

Les douze apôtres l’entourent et on distingue facilement les deux piliers de l’Église : Pierre et Paul, en premier plan. Pierre, à gauche, reconnaissable par sa chevelure blanche bouclée encense la dépouille de Marie tandis que Paul, le chauve, se tient aux pieds du corps. Un autre disciple, Jean placé derrière à droite, est lui aussi facilement retraçable par ses cheveux bien frisés. « Pendant que se préparait l’ascension de son corps sans souillures, les apôtres entouraient ta couche… » (Matines de la fête). La tradition dit qu’ils sont apparus miraculeusement sur les lieux apprenant la mort de la Mère de Dieu.

Il est courant de voir dans d’autres représentations de la Dormition, un homme voulant profaner la scène, mais un ange lui coupe les mains. C’est la fête d’un grand mystère et personne ne doit intervenir.

Le lit mortuaire est drapé de rouge : il faut se rappeler que cette couleur symbolise souvent la présence et/ou l’action de l’Esprit Saint. Marie repose sur un drap blanc, les mains croisées. Elle porte son manteau pourpre, couleur royale, sur lequel on voit les étoiles qui symbolisent sa virginité perpétuelle. « Tu gardas la virginité et dans ta dormition… » (Tropaire de la fête).

Dormition

Au centre, derrière, une mandorle sombre qui pourrait symboliser le gouffre de la mort, d’où le Christ se tient majestueux, tenant l’âme de sa mère représentée en un enfant emmaillotté comme un nouveau-né. Au-dessus, le tableau est complété par deux chérubins les ailes entremêlées.

Deux bâtiments se trouvent de chaque côté de l’icône. Celui de gauche symbolise le Temple de Jérusalem et celui de droite la maison de Marie.

Un peu de théologie : Dormition ou Assomption

L’Église orthodoxe rejette le dogme de l’Immaculé conception qui enlève à Marie une partie de sa nature humaine ayant été conçue sans le péché originel. C’est pourtant d’elle que Jésus a reçu son humanité. Selon l’orthodoxie, elle a dû passer par une vraie mort et sa résurrection est comprise comme celle promise à tous les hommes par Jésus. D’ailleurs selon Mgr Cristian Crisan, évêque de l’Église gréco-catholique roumaine, « cette icône est le signe de la limite ultime humaine ».

Mais l’Église catholique ne parle pas de mort de Marie et son Assomption porte à croire qu’elle a été élevée avant de s’éteindre naturellement dans la mort. « Pour résumer, alors qu’en Orient orthodoxe, la Vierge représente l’humanité entière portant Dieu, la Théotokos, en Occident, naît et prend son essor l’image de l’« Immaculée Conception », accueillante mais née différente de toutes les autres femmes d’où le dogme qui suivit, celui de l’Assomption, passant complètement sous silence la Dormition (la mort de la vierge) « humaine » de la Mère de Dieu [4]. »

Pour conclure, malgré ce différend, le dogme selon lequel son corps aurait été élevé dans la gloire céleste, mort ou vivant, est reconnu et par les orthodoxes et par les catholiques. Depuis cette élévation, tous les chrétiens prient la Vierge pour qu’elle intercède auprès de son Fils en faveur de leurs demandes.

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] (s.a.) « 15 août : l’Assomption chez les catholiques, la Dormition chez les orthodoxes ».
[2] Cyrille Bradette, De l’image à la ressemblance, Wentwort, Monastère orthodoxe de la Mère de Dieu, 2012, p. 76.
[3] Mgr Cristian Crisan, « L’icône de la Dormition ».
[4] Hellenica, « Quelles différences entre religions orthodoxe et catholique ».

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