couvertureLes Pharisiens dans les Évangiles et dans l’Histoire
Mireille Hadas-Lebel
Paris, Albin Michel, 2021, 203 pages
ISBN : 9782226458278

Chez plusieurs de nos contemporains et contemporaines, les pharisiens sont les méchants dans l’histoire de Jésus, ses principaux opposants. C’est sans doute pour rétablir ce jugement rapide que l’historienne a écrit ce livre en rappelant les textes qui vont dans le sens contraire de cette interprétation et surtout, en cherchant à briser l’adéquation qui est faite entre ces hommes à l’esprit étroit, pour reprendre les mots de Renan dans sa Vie de Jésus, et les Juifs d’aujourd’hui. Son étude répond ainsi aux attentes du pape François qui, lors d’un congrès récent au Vatican, encourageait les recherches sur ce mouvement juif afin de combattre les idées reçues et lutter contre l’antisémitisme.

L’ouvrage est divisé en deux parties. La première, les pharisiens dans l’Histoire, commence par une brève analyse des sources littéraires qui nous permettent de dresser un portrait du mouvement des pharisiens : les écrits de l’historien juif du premier siècle Flavius Josèphe, les évangiles canoniquees et les écrits rabbiniques qui doivent être utilisés « avec grande prudence pour éviter les anachronismes » (p. 25). Le chapitre suivant s’intéresse au rôle des pharisiens dans l’histoire de la Judée. Josèphe nous permet de remonter jusqu’au règne de Jean Hyrcan (134-104 avant notre ère) pour les voir évoluer, surtout sur le plan politique, jusqu’à la première grande révolte juive. Le chapitre suivant examine ce que l’on peut déduire de nos sources sur leurs doctrines et leurs pratiques qui les distinguent des sadducéens : l’importance de la Loi orale et la croyance en la résurrection.

Dans la deuxième partie, l’historienne reprend tout le dossier de la polémique contre les pharisiens dont la source principale est l’évangile selon Matthieu, surtout dans le discours du chapitre 23 qui est ponctué de plusieurs malédictions contre ce groupe et leurs associés, les scribes. Comme le souligne l’historienne : « Ce discours public prononcé à Jérusalem établit pour des siècles l’équation entre pharisiens et hypocrites : “Ils disent et ne font pas.” » (p. 89) Mais qu’y a-t-il derrière cette polémique? En s’appuyant sur la Mishna, elle montre que la plupart des sujets de controverse avec les pharisiens étaient débattus à l’époque de Jésus. Si ces controverses évangéliques ont leurs racines dans l’histoire du maître galiléen, que les pharisiens appellent parfois « rabbi », on doit admettre que leurs intentions ne sont pas toujours claires et qu’il est possible de relever plusieurs points de convergence entre leur enseignement et celui de Jésus. L’historienne donne quelques exemples tirés des évangiles de bonnes relations, de croyances partagées et de manières de raisonner commune.

Pour comprendre la violence du discours de Jésus contre les pharisiens (Mt 23), il faut donc le situer dans le cadre de la colère prophétique : « la véhémence des discours de Jésus contre les pharisiens doit se comprendre comme un désir de les ramener dans le droit chemin. Il veut leur éviter des dérives car, il est vrai, le scrupule dans le détail peut faire manquer l’essentiel » (p. 139). En d’autres termes, Jésus était proche du mouvement pharisiens mais un événement historique a détérioré les relations entre les Juifs et les premiers chrétiens : la destruction du Temple de Jérusalem en 70 de notre ère. Dans les années qui ont suivi, les pharisiens ont assuré la survie du judaïsme en favorisant l’unité de leur peuple. Un fossé s’est creusé entre les deux groupes jusqu’à l’exclusion des chrétiens de la synagogue en 90 (voir Jean 16,2 et la prière juive contre les hérétiques ou birkat ha-minim). Les controverses évangéliques envers les pharisiens (surtout chez Matthieu) sont donc colorées par les relations difficiles entre les premiers chrétiens et les autorités juives. Et dans l’évangile selon Jean, dont la rédaction est la plus tardive des quatre évangiles, le jugement négatif envers les pharisiens s’étendra à l’ensemble des Juifs tenus responsables de la mort de Jésus.

Un nouveau regard sur les pharisiens devrait favoriser le dialogue judéo-chrétien selon l’historienne. C’est pour cette raison qu’elle évoque les dérives de l’Histoire et dénonce l’antisémitisme en rappelant les dix points de Seelisberg (en annexe), des propositions écrites en 1947 et visant l’amélioration de l’enseignement chrétien sur le judaïsme. Le livre de Mireille Hadas-Lebel va dans le même sens et nous le recommandons à toute personne qui s’intéresse aux évangiles et au Jésus de l’histoire.

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.

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L’auteure

Mireille Hadas-Lebel est historienne du judaïsme. Parmi ses publications récentes, signalons : Hillel, un sage au temps de Jésus (Albin Michel, 1999) ; Rome, la Judée et les Juifs (Picard, 2009) ; Une histoire du Messie (Albin Michel, 2014) et Hérode (Fayard, 2017).

(photo © mahJ)