Élie recevant du pain de la veuve de Sarepta. Giovanni Lanfranco, c. 1621-1624.
Huile sur toile, 203 x 243 cm. Getty Center, Los Angeles (Wikipédia).

L’hospitalité de la veuve de Sarepta

Martin BelleroseMartin Bellerose | 15 janvier 2024

Lors de la dernière chronique, nous avons vu brièvement quelques éléments de réflexions qu’Augustin d’Hippone apporte sur le texte de 1 Rois 17,8-16 du Sermon 11. Nous jetons ici un regard différent sur le texte vétérotestamentaire en étendant la péricope jusqu’au verset 24.

Un renversement

Le récit racontant l’histoire de la veuve de Sarepta renverse complètement les enseignements du Pentateuque où les gens d’Israël sont exhortés à prendre soin de la veuve et de l’orphelin et à cette dyade « veuve-orphelin » on y ajoute parfois le « ger », « l’étranger ». Ici, c’est l’enfant d’Israël, le prophète Élie qui est pris en charge par une veuve qui a déjà à charge un orphelin. Ce n’est pas un étranger qui reçoit la charité d’un Israélite, mais un Israélite qui reçoit la charité d’une veuve étrangère. Ce passage est une leçon d’humilité pour les élus de Dieu. D’autant plus qu’il ne s’agit pas ici de n’importe lequel parmi les fils d’Israël, mais d’un prophète, l’un des plus grands, un prophète qui n’a jamais connu la mort.

Le temps où les bien nantis envoyaient des « missionnaires » pour aider les « pôvres » des pays « pôvres » est révolu. Cependant, des gens croyaient sincèrement qu’ils faisaient le bien à travers cette pratique qui était davantage colonisatrice qu’évangélisatrice. La Bible est beaucoup plus nuancée et raffinée dans ses analyses et interprétations d’actions que la récupération herméneutique parfois « moutonnière » des institutions religieuses se proclamant chrétienne. Il n’y a aucune dénomination ecclésiale particulièrement visée ici, elles le sont toutes de façon générale.
  
« Voici ce qui arriva après ces événements : le fils de cette femme, la propriétaire de la maison, tomba malade. Sa maladie fut si violente qu’il ne resta plus de souffle en lui. » (v. 17) Un peu plus loin dans le texte, Élie demanda au Seigneur : « Seigneur, mon Dieu, veux-tu du mal même à cette veuve chez qui je suis venu en émigré, au point que tu fasses mourir son fils ? » (v. 20) Et le fils de la veuve revint à la vie.

Ce geste annonce ce que Christ déclarera à ceux qu’il considère comme sauvé (ceux à sa droite) dans le récit sur le jugement dernier en Matthieu 25,31-45, car ces derniers auront posé des gestes d’hospitalité, comme donner à manger à celui qui a faim, accueillir l’étranger et visiter le malade. C’est aussi ce qui s’est passé pour la veuve de Sarepta.

Institution du récit en pratique pastorale en 1 Timothée

Dans une des lettres pauliniennes dites « pastorales » on y mentionne qu’« une femme ne sera inscrite au groupe des veuves que si elle est âgée d’au moins soixante ans et n’a eu qu’un mari. Il faut qu’elle soit connue pour ses belles œuvres : qu’elle ait élevé des enfants, exercé l’hospitalité, lavé les pieds des saints, assisté les affligés, qu’elle se soit appliquée à toute œuvre bonne » (1 Timothée 5,9-10). Dans le texte épistolaire, une fonction pastorale a été instituée, celle de la praxis de l’hospitalité. Notons que le lavement des pieds et l’assistance aux affligés font aussi partie de la praxis hospitalière.

Le geste de la veuve de Sarepta prend désormais une place prépondérante dans l’Église. On sera d’avantage enclin aujourd’hui à critiquer certaines « exigences morales » évoquées dans le texte précédemment cité qui dans les faits semble plutôt être des critères favorisant l’efficacité de la fonction pastorale. La lecture « moraliste » du texte de 1 Timothée sur ce rôle qu’assument certaines veuves nous fait oublier l’institution du ministère pastorale au point où aujourd’hui on n’insiste plus beaucoup sur ce rôle dans l’organisation ecclésiale alors qu’épiscopes, diacres et anciens, étant des rôles hiérarchiques, reçoivent toute l’attention, voire parfois de façon exagérée.

La pratique de l’hospitalité par les veuves dont parle 1 Timothée, étant en continuité avec le geste posé par la veuve de Sarepta, procède à un renversement d’autorité qui ne saurait plaire aux pouvoirs ecclésiaux encore beaucoup sous l’influence de la conception colonialiste et néocolonialiste de la mission.

Martin Bellerose est professeur et directeur de l’Institut d'étude et de recherche théologique en interculturalité, migration et mission (IERTIMM) et directeur de la formation en français de l’Église Unie du Canada.

Le furet biblique

Bible et migration

La question des migrations est de plus en plus présente dans les enjeux et débats de société. La présente rubrique cherche à mettre en évidence l’importance de cette thématique dans les différents textes bibliques et souhaite offrir des pistes, à partir des Écritures, afin de réfléchir sur des enjeux contemporains. Nous y explorons la littérature biblique, parfois extrabiblique, et des réceptions anciennes et actuelles de cette littérature.