Parabole des invités aux noces. Francisco Goya, circa 1796-1797.
Huile sur toile, 146 x 340 cm. Oratorio de la Santa Cueva, Cádiz (Wikimedia).

Voulons-nous faire partie des invité.e.s?

Odette MainvilleChristiane Cloutier Dupuis | 28e dimanche du Temps ordinaire (A) – 15 octobre 2023

Le banquet de noces : Matthieu 22,1-14
Les lectures : Isaïe 25, 6-9 ; Psaume 22 (23) ; Philippiens 4, 12-14.19-20
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Pour des raisons pastorales liées à la communauté matthéenne, la parabole rapportée en Matthieu est très allégorisée comparée à celle de Luc 14,15-24 et à l’Évangile de Thomas 64. On y a ajouté une seconde parabole et une conclusion généralisante. Selon J. Jeremias, « c’est l’Église primitive qui, de par sa situation missionnaire, a interprété et amplifié la parabole de Jésus [1] ». Qu’en est-il donc de la parabole des invités à laquelle s’est ajoutée celle du vêtement de noce et une conclusion qui pourrait paraître déconcertante?

La parabole du festin montre un roi qui fit un festin de noce pour son fils. Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités (vv. 2-3). Ces invités sont, à coup sûr, l’élite de son royaume. Un roi n’invite pas ses manants à la noce de son fils. Cette élite est composée, au temps de Jésus, du haut clergé, des docteurs de la Loi, de riches propriétaires terriens et de scribes et Pharisiens bien nantis. Mais ces invités, étrangement, ne voulaient pas venir. Le roi, sans doute médusé par ce refus, devait croire qu’il y avait un malentendu. Et selon la coutume, il envoya d’autres serviteurs dire aux invités : « Voici j’ai apprêté mon banquet, mes taureaux et bêtes grasses sont égorgés, tout est prêt, venez… » (v. 4). Cette deuxième invitation était devenue culturelle au 1er s de notre ère [2]. Cependant eux, sans en tenir compte, s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre… et les autres saisirent les serviteurs… les tuèrent. Le roi, en colère, envoya ses troupes, fit périr ces assassins et incendia leur ville (vv. 3b.-7). Nous passons d’un événement joyeux à une situation tragique et meurtrière, totalement inattendue.

Le temps nouveau est arrivé

Comment comprendre cette histoire? Où Jésus veut-il en venir? Pour nous, cela semble surréaliste et invraisemblable. Pour comprendre, on doit retourner plus de 2000 ans en arrière, se rappeler la proclamation de Jésus et savoir qu’il est convaincu que le temps nouveau annoncé est arrivé : Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle de Dieu (Mc 1,15). À cette époque précise, au 1er siècle de notre ère, nous savons que le peuple en général ainsi que les pharisiens, les baptistes et les esséniens étaient convaincus que le temps attendu était arrivé : ce temps, c’est le nouveau temps, le temps de Dieu, le temps du salut. Or, ceux qu’on appelle les chefs religieux et qui possèdent les trois pouvoirs (économique, politique et religieux) refusent cette croyance et la proclamation de Jésus qui enseigne que ce temps de Dieu est offert à tous, où le salut signifie une année d’accueil par le Seigneur à toute personne qui le désire (Lc 4,19 tiré de Isaïe 61,1-2).

Nous devons donc comprendre que le roi de la parabole symbolise Dieu et son invitation. Et les premiers invités de l’Évangile sont les mêmes que dans la parabole des vignerons meurtriers qui la précède chez Matthieu et qui rapporte cette phrase de Jésus : Le royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits (Mt 21,43). Très tôt l’Église primitive a déduit que cet autre peuple, c’était les chrétiens (judéo-chrétiens et païens), d’où la nouvelle interprétation de la parabole et l’allégorisation qu’on en fait pour les communautés chrétiennes, en particulier celle de Mt. Il faut se souvenir aussi qu’avec l’évangile de Mt, on oscille continuellement entre le temps de Jésus et celui de la communauté des années 80-90, C’est ce qui explique la présence des versets 7-8 qui sont un ajout à la parabole de Jésus, ajout soit de l’évangéliste, soit de la tradition judéo-chrétienne. Le sac de la ville et la mort de plusieurs de ses habitants sont là pour rappeler la destruction de Jérusalem et de son élite en 70, toutes deux ayant refusé l’invitation de Jésus. Pour Jésus, les serviteurs assassinés, étaient les prophètes assassinés de l’A.T. parce que les élites refusaient leurs messages. Et il constate que le même phénomène se reproduit à son égard et le démontre par cette parabole. Rendu au temps de Mt, les serviteurs massacrés représentent les prophètes mais aussi les apôtres et les chrétiens morts martyrs. Le regard et l’interprétation changent.

Appel à tous

Revenons à la parabole où, sa colère passée, le roi dit Allez, convoquez à la noce tous ceux que vous trouverez… tous ceux qu’ils trouvèrent mauvais et bons (vv. 9-10). Ici aussi des explications s’imposent car pour Jésus, ces nouveaux invités représentent le ha am aretz, sémitisme qui désigne le peuple de la terre, c’est-à-dire le monde ordinaire y compris les collecteurs d’impôts, les pécheurs publics, les publicains, les enfants et les femmes. Beaucoup sont exclus régulièrement de la société pour des raisons de pureté légale, de maladie ou d’absence de droits comme les femmes et les enfants. Ce sont à eux à qui Jésus pense et s’adresse. Il suffit de lire ce qu’il dit en Mt 9,12 : Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin mais les malades et en Mc 2,17c : Je suis venu appeler non pas les justes mais les pécheurs. Il n’exclut personne mais les légistes, pharisiens et scribes (qui sont les justes de son temps) n’en veulent pas. Au contraire, son enseignement les dérange au plus haut point. Cependant, dans les années 80-90, on est rendu ailleurs. Cela explique pourquoi : « Ces convives représentent pour Matthieu l’Église primitive composée de Juifs et de païens. L’appel à faire partie de l’Église sans aucune discrimination pouvait laisser croire que la conduite des gens n’avaient pas d’importance [3] ». C’est pour cette raison que Matthieu insère la parabole de « l’homme qui ne portait pas le vêtement de noce » à la parabole de Jésus comme si elle en faisait partie : le roi entre pour examiner les convives, s’aperçoit que l’un d’eux n’a pas la tenue requise et le fait exclure. Selon G. Rochais : «La leçon à tirer est claire : si Israël, le premier appelé a pu être disqualifié en raison de son refus, que les chrétiens ne s’imaginent pas être passés du bon côté de la barrière en entrant dans l’Église car il y en a de bons et de mauvais et chacun doit être trouvé conforme à l’appel qui lui a été adressé… Ceux qui se réclament du nom de Jésus mais ne témoignent que d’un attachement formel, se retrouveront dans les ténèbres extérieures [4] » Voir Mt 7,22 et 25,41-46 qui le démontrent.

En utilisant cette parabole et en la plaçant à cet endroit, Mt envoie un sérieux avertissement à sa communauté : quiconque peut et a le droit de devenir chrétien. Mais cela sous-entend de devenir un authentique disciple de Jésus Christ en se mettant à l’écoute de son enseignement et en adoptant une conduite qui tient compte de cet enseignement. Mt semble inquiet pour sa communauté car il insiste lourdement en ajoutant à cette deuxième parabole déjà très éclairante ce logion de Jésus : Car beaucoup sont appelés mais peu sont élus. Pourquoi sent-il le besoin de conclure la parabole ainsi? Parce que faire partie de la communauté chrétienne ne garantit pas d’être un élu comme l’explique la parabole de l’homme sans vêtement de noce (vêtement propre). Pour bien comprendre la conclusion ultime de Mt, il faut savoir que l’expression « beaucoup vs peu » est un sémitisme : beaucoup signifie « tous » ; alors « tous sont donc appelés au salut mais tous ne répondent pas à cet appel. L’appel est sans limite mais le nombre de ceux qui y répondent est beaucoup plus restreint… Matthieu lance à ses auditeurs un appel pressant pour qu’ils correspondent, par leur pratique, à l’appel reçu… [5]

Que retenir de cette parabole?

Peut-elle nous être utile en 2023? Que nous apprend-elle? Comment l’acculturer à notre époque? Que dois-je faire pour faire partie des invité.e.s?

Que ce soit la parabole de Jésus ou sa reprise par Matthieu en l’acculturant à sa communauté par l’allégorisation de l’histoire, nous sommes à des années-lumière de cette façon de procéder pour un mariage, royal ou non! Et encore plus d’une situation où l’on tue les courriers-porteurs d’invitation et où la personne qui invite tue les assassins des courriers-porteurs et incendie la ville où cela se passe! Il faut donc aller au cœur du message que voulait passer Jésus à ses contemporains et faire abstraction du « décor ». Le message, c’est l’appel, l’invitation à embarquer dans le Règne de Dieu. Embarquer dans le train mis en marche par Jésus…

Par ses paraboles et ses actions, Jésus n’a jamais cessé de lancer des invitations à entrer dans le Règne de Dieu et de s’ouvrir à cette année d’accueil par le Seigneur (Lc 4,19). C’est sa proclamation et il y sera fidèle jusqu’à sa mort. Entrer dans le Règne de Dieu signifie que l’on prend très au sérieux ces paroles de Jésus : Le temps est accompli, le règne de Dieu s’est approché ; convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. Pour Jésus, se convertir signifie changer de mentalité, changer son regard sur Dieu, prendre conscience que ce Dieu vient vers nous pour nous aider à traverser la vie.

Jésus a été marqué au fer rouge par le Dieu de Moïse qui dit : J’ai vu votre misère, j’ai entendu vos cris, je suis descendu pour vous libérer (Exode 3,7). Toute sa pratique exécute ce cri de Dieu à Moïse. Par ses guérisons, il entend la plainte des malades et les libère du poids de la maladie ; par ses exorcismes, il guérit les esprits malades, craintifs, esclaves ou dépendants d’entités, de personnes ou de choses qui les empêchent de vivre et d’avancer ; il les libère. Par son enseignement et en particulier par ses paraboles, il lance sa parole qui peut changer notre vie tant elle éclaire, donne le goût de vivre, fait comprendre et surtout nous apprend à regarder autrement, à écouter autrement et à faire autrement. C’est un art de vivre extraordinaire.

Être invité.e au festin, c’est recevoir l’appel à le suivre dans le dédale de nos vies. C’est apprendre à voir, avec ses yeux à lui, les gens qui nous entourent. Cela demande parfois un changement de mentalité car on doit aller au-delà des apparences, surtout en 2023 où les valeurs ne sont pas nécessairement celles de 1850 ou de 1900. Il y a une césure, une coupure avec le passé et sa culture sous-jacente et les générations des 50 ans en descendant jusqu’aux ados actuels. On doit développer les yeux du cœur. Même chose pour l’écoute. Écouter les personnes qui nous entourent peut aussi demander un changement de mentalité. Il se peut qu’on ait de la misère à comprendre telle ou telle façon de penser. On peut avoir une pensée très juste mais réaliser qu’il peut aussi y avoir une autre façon de penser sans qu’elle soit nécessairement mauvaise même si on la trouve surprenante. C’est cela s’ajuster à l’autre ou tenir compte de lui ou d’elle. Pensons aux grands-parents et aux petits-enfants dont les mondes sont totalement différents, aux parents et leurs ados, adeptes des réseaux sociaux, aux jeunes prêts à tout, y compris le suicide pour montrer qu’ils existent, aux personnes âgées qui se suicident pour les mêmes raisons de solitude ou d’indifférence. Or, pour Jésus, chaque personne est un.e enfant de Dieu. On doit en tenir compte. Un.e invité.e aux noces, c’est quelqu’un qui embarque dans le mouvement du Règne de Dieu, qui entre dans la « suivance » de Jésus. C’est quelqu’un qui s’inscrit dans son époque, qui apprend à regarder autrement, à écouter l’autre avec des oreilles différentes, qui accepte de changer parfois ses façons de faire pour faciliter la vie des autres. Une chose est sure, c’est une invitation passionnante!

Impliquée en éducation biblique populaire depuis de nombreuses années, Christiane Cloutier Dupuis est détentrice d’un doctorat en sciences religieuses (UQÀM).

[1] J. Jeremias, Les paraboles de Jésus, Seuil, 1984, p.76.
[2] Idem, « Renouveler l’invitation à l’heure du repas était une marque particulière de politesse, d’usage chez les gens distingués de Jérusalem » p. 180-181.
[3] Ibidem.
[4] Gérard Rochais, citation tirée d’un article savant dont j’ai reçu une copie en cadeau, p. 4-5.
[5] Idem p.6.

Source : Le Feuillet biblique, no 2816. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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