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Est-ce que ça va vraiment bien aller?

Paul-André GiguèrePaul-André Giguère | 1er dimanche du Carême (B) – 18 février 2024

Tentation et première prédication de Jésus : Marc 1, 12-15
Les lectures : Genèse 9, 8-15 ; Psaume 24 (25) ; 1 Pierre 3, 18-22
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Tout le monde se rappelle comment, aux premières semaines de la propagation de la Covid-19, les fenêtres des maisons et des écoles se sont couvertes de dessins d’arcs-en-ciel affichant un optimisme de circonstance : « Ça va bien aller. » Sans doute très peu de nos concitoyens peuvent-ils faire un lien entre cette image et l’un des textes bibliques proposés pour la liturgie de ce premier dimanche de carême : Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. Avec la colombe comme symbole de la paix, le symbole de l’arc-en-ciel constitue un des beaux vestiges de la tradition chrétienne préservés par la culture occidentale à sa sortie de la chrétienté.

Ceci dit, la question demeure : « Est-ce que ça va vraiment bien aller? » La multiplication des événements météorologiques extrêmes, le surarmement des nations et l’aggravation des conflits militaires dans le monde, la polarisation croissante des idées et la difficulté grandissante de débattre sereinement, les tensions récurrentes dues au choc des cultures, les lacunes de plus en plus criantes du système de santé et du système éducatif à tous les niveaux, le désamour, quand ce n’est pas le discrédit, qui entoure la religion et l’effritement des structures de soutien dans presque toutes les Églises chrétiennes, tout cela forme sur nos têtes un écrasant nuage noir. On aurait envie d’appuyer sur la touche PAUSE pour suspendre, un moment, la marche du monde.

Un carême courageux

Et si c’était précisément ce que pourrait être la période du carême qui commence ce dimanche? Suspendre le temps... Si on se laissait « pousser par l’Esprit au désert » pour « quarante jours », suffisamment longtemps pour opérer un patient discernement et affronter nos « bêtes sauvages », assurés de la protection du même Esprit dont l’action est représentée par l’image « et les anges le servaient »?

En lisant à la suite les trois textes bibliques proposés ce dimanche, on ne peut qu’être frappé de ce qu’ils évoquent toutes les dimensions du vivant. Voyons plutôt : « Vous... votre descendance... les générations à jamais... tous les êtres vivants qui sont avec vous... oiseaux, bétail, toutes les bêtes de la terre... aucun être de chair... le Christ... les injustes... Dieu... l’Esprit... les esprits en captivité... les anges, les Souverainetés et les Puissances... Jésus... les bêtes sauvages... Jean le Baptiseur » : tout y passe.

En d’autres termes, au seuil du carême, chaque personne, mais aussi chaque communauté, mouvement ou regroupement pourraient se donner au cours des six prochaines semaines un espace pour prendre du recul et tenter de faire la vérité sur au moins un des multiples aspects de l’existence humaine personnelle ou collective. Il s’agirait d’avoir le courage de retenir un élément qui ne va pas bien dans nos vies, une situation insatisfaisante ou problématique, une « bête sauvage ».

Illustrons cela par deux exemples de cheminement de carême inspirés par chacune des deux premières lectures de ce dimanche.

Après moi, le déluge

Cette expression, attribuée par les uns au roi de France Louis XV et par d’autres à Madame de Pompadour, signifie qu’on se fiche complètement de ce qui arrivera après nous. En d’autres termes, qu’une catastrophe survienne en raison de mes actions ou de mon refus d’agir, je m’en fous, cela ne me concerne pas : je ne me soucie pas des conséquences de mes décisions.

Au Québec comme ailleurs, nous sommes déjà témoins, et de plus en plus souvent, victimes, des bouleversements climatiques : inondations, incendies de forêts, érosion des berges, épisodes de chaleur extrême ou précipitations verglaçantes, raréfaction des abeilles, etc. Ces phénomènes qui font la manchette sont, nous le savons, le résultat à la fois de nos comportements (comme nos modes de consommation ou notre dépendance à l’auto solo) et de notre inaction personnelle mais aussi gouvernementale. D’où l’écoanxiété et le défaitisme.

Pour ce carême, nous pourrions choisir d’opérer un discernement spirituel sur notre rapport à la crise de l’environnement. Le texte de la Genèse est en effet porteur d’un ferme soutien à l’espérance, mais également d’un appel à notre responsabilité.

La bonne nouvelle, c’est l’engagement solennel de Dieu que « les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être vivant ». C’est ce que la Genèse appelle une « Alliance » entre le créateur et les plus précieuses de ses créatures : « Je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants »

Cette bonne nouvelle engage notre responsabilité. Nous, les êtres humains, sommes les gérants, pour ainsi dire, de cette alliance et responsables de garder vivante cette promesse divine. C’est à nous qu’est confiée la tâche de combattre toute forme de « déluge » pouvant entraîner la disparition de la vie sur notre planète. Le combat est gigantesque, les décisions à prendre doivent être courageuses, les gestes à poser peuvent nous sembler radicaux. Nous n’agirons pas de manière désespérée, contraints par le fatalisme, mais au contraire avec toute l’énergie qui nous vient de la promesse divine. Celle-ci met en échec tout catastrophisme. Renouant avec notre baptême, dont il est question dans la deuxième lecture, animés par l’Esprit qui a vivifié Jésus durant sa vie et dans sa mort, il s’agit de vivre en témoins de l’alliance indéfectible de Dieu avec la Vie. En mobilisant nos énergies dans le service de la vie : écologie, paix, justice, confiance, conscience universelle. Jusque dans nos choix quotidiens.

L’engagement envers Dieu d’une conscience droite

Une deuxième piste que pourrait emprunter notre démarche de discernement concerne la vitalité de notre vie de foi personnelle et de celle de notre communauté de foi. Plusieurs considèrent que la lettre de Pierre reflète une catéchèse offerte aux futurs ou aux nouveaux baptisés à la fin du premier siècle. Elle invite à se remettre en contact avec la mort et la résurrection de Jésus qui sera célébrée à la fin du carême. Il s’agit ni plus, ni moins, d’un rappel de la dimension mystique de la condition chrétienne. N’ayons pas peur du mot, qui indique le rapport personnel et direct de chacun avec Dieu.

Croire, c’est-à-dire mettre sa confiance en la mort-résurrection du Christ nous « introduit devant Dieu », nous « présente à Dieu », nous « mène » ou « conduit » à Dieu. Rien de moins. Cela implique nécessairement, me semble-t-il, un renouvellement de notre intériorité.

C’est précisément ce que favorise l’expérience du désert en raison de l’expérience du vide que le désert favorise. L’intériorité, soit faire le vide pour faire le plein, a toujours été conquise au prix d’une discipline entêtée. Mais la société contemporaine rend cette conquête particulièrement difficile, tant nous sommes sollicités de toute part par les incessantes notifications de nos téléphones ou le matraquage de la publicité omniprésente. Or, moins on est présent à soi-même, plus on est influençable et manipulable par les attentes et les pressions des autres, ce qui a un impact direct et sur la santé mentale, et sur la qualité de la vie démocratique.

Ce carême pourrait donc être un temps privilégié pour faire un pas de côté, diminuer ou suspendre certaines sollicitations extérieures – ce qui serait l’équivalent du jeûne traditionnellement associé à cette période de préparation à Pâques. Pourquoi une communauté de foi ne pourrait-elle pas chercher des moyens de donner un climat de plus grande intériorité à ses célébrations, offrir un ou des ateliers d’apprentissage de la prière, ou faire valoir, quand c’est possible, le témoignage spirituel de ces saints et saintes qui sont souvent les patronnes ou patrons de nos paroisses?

En un mot, faire de ce carême un temps favorable pour favoriser ce que l’auteur de la deuxième lecture appelle « l’engagement envers Dieu d’une conscience droite ».

Diplômé en études bibliques et en andragogie, Paul-André Giguère est professeur retraité de l’Institut de pastoral des Dominicains (Montréal).

Source : Le Feuillet biblique, no 2834. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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