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Un diapason intérieur
Anne-Marie Chapleau | Pentecôte (B) – 19 mai 2024
L’Esprit de vérité : Jean 15, 26-27 ; 16, 12-15
Les lectures : Actes 2, 1-11 ; Psaume 103 (104) ; Galates 5, 16-25
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
En musique, on dit des personnes dotées d’une perception exceptionnelle de la hauteur des sons qu’elles ont « l’oreille absolue ». C’est comme si elles avaient un diapason intégré à leurs oreilles. Se pourrait-il que l’Esprit Saint soit le diapason intérieur qui nous permet de parler avec justesse pourvu que nous le laissions ajuster d’abord notre écoute?
De la loi extérieure au guide intérieur
En ce jour de la Pentecôte juive (Actes 2,1), les disciples sont sur le point de vivre la naissance de l’Église et le lancement de la mission. Alors que la Pentecôte juive célébrait le don la Loi ou Torah à Moïse au mont Sinaï [1], la Pentecôte chrétienne célébrera le don de l’Esprit Saint.
Paul, comme ici dans sa lettre aux Galates (5,16-25), revient souvent sur la question de la Loi. Sa pensée à ce sujet est complexe et ne peut être réduite à une seule dimension. Une chose est sûre : il rejette avec force cette conception erronée selon laquelle nous pourrions nous mériter nous-mêmes le salut par un respect sans faille des multiples prescriptions d’une loi extérieure. Paul rappelle constamment que le salut est offert et accompli gratuitement par le Christ. Voilà pourquoi il peut dire que « en ces domaines » que sont « l’amour, la joie, la bienveillance ou la patience » (v. 22), la Loi n’intervient pas. Ces vertus sont plutôt des fruits gracieusement offerts par l’Esprit Saint. Mais ce que donne aussi et surtout ce guide intérieur, c’est la capacité de parler juste.
Une expérience immersive
Le récit de la Pentecôte (Ac 2,1-11) convoque les sens de ses lectrices et lecteurs : il y a à entendre (du bruit), à voir (des langues semblant de feu) et aussi à « toucher » ou du moins à ressentir (un grand coup de vent). Tout cela vient du ciel et indique bien que les personnes présentes, sans doute de nombreux disciples hommes et femmes, incluant Marie, vivent une « théophanie », c’est-à-dire une manifestation divine. Cela, assurément, les dépasse et ne sera jamais complètement explicable ou assimilable. Ça ne l’est pas plus pour nous aujourd’hui, même si ce texte hautement symbolique nous dit des choses essentielles, dont entre autres que la présence de l’Esprit Saint s’expérimente d’une manière immersive. Les occupants de la maison, après s’être retrouvés plongés dans le vent qui remplit toute la maison, sont ensuite remplis d’Esprit Saint. Le Souffle Saint est en eux qui sont dans le vent de l’Esprit !
L’effet est immédiat : ils se mettent à parler d’autres langues. Le texte précise bien que cette capacité à parler d’une manière qui déborde leurs propres habiletés langagières est un don de l’Esprit. Ce don a un effet secondaire inattendu : les murs de la maison où ils étaient rassemblés semblent se dissoudre. En effet, leurs paroles deviennent audibles pour une foule diversifiée qui afflue et les rejoint sans avoir à franchir de portes. Elle provient de la diaspora [2] juive venue en pèlerinage à Jérusalem à l’occasion de la fête.
Une guérison de Babel
Ces gens sont tout d’abord plongés dans la confusion [3] avant de parvenir à la stupéfaction et à l’émerveillement. La Pentecôte guérit les maux que dénonçait l’épisode de la tour de Babel (Genèse 11,1-9). L’unité ne se conquiert pas en cherchant à monter jusqu’à Dieu par ses propres moyens ni en gommant toutes les différences. L’unité, grâce à l’Esprit Saint, se fait par l’accueil d’une même « voix » que chacun entend à partir de sa propre vie, dans la « langue » de son histoire personnelle façonnée par sa culture et son milieu. Il y a là de précieux conseils à recueillir : l’Esprit est le premier acteur de la mission et la pertinence de nos annonces des « merveilles de Dieu » dépend de leur ajustement à la réalité de leurs destinataires.
Un rôle multidimensionnel
Le récit des Actes montre le lien intime qui existe entre l’Esprit Saint et la parole. L’évangile de ce dimanche confirme ce lien et en déploie les harmoniques. Tiré de Jean, il met bout à bout deux passages du second discours d’adieu de Jésus à ses disciples. Après leur avoir annoncé les persécutions à venir, Jésus leur explique le rôle que jouera cet Esprit Saint qu’il leur enverra d’auprès du Père [4] (15,16) après son départ.
Ce rôle est multidimensionnel. L’Esprit sera tout d’abord pour eux un défenseur. Le mot grec utilisé ici, paraklètos ou paraclet, renvoie à une fonction d’avocat de la défense. Les disciples, dont nous sommes nous aussi, ne seront pas abandonnés à eux-mêmes lorsque viendront les persécutions ou les difficultés. Il sera aussi « l’Esprit de vérité » qui rend parfaitement témoignage au Fils. Il n’ajoutera rien à ce que le Fils a déjà dit, puisque ce dernier est l’indépassable révélateur du Père (Jean 1,18), mais ce qu’il dira résonnera toujours comme une Parole neuve, puisqu’elle atteindra en chacun le lieu de sa « langue maternelle », de sa vie ici et maintenant dont elle pourra éclairer les défis changeants au fil du temps.
L’oreille absolue
Si l’Esprit peut parler si juste, c’est qu’il entend parfaitement toute parole prononcée par le Fils. Et si le Fils parle juste c’est parce que, de son côté, il est pure ouverture à la Parole du Père (voir 15,15). L’un et l’autre ont une « oreille absolue ». La Parole circule donc librement dans l’intimité relationnelle du Père, du Fils et de l’Esprit. Et le plus beau, c’est que nous sommes nous-mêmes invités à entrer dans cette intimité et rendus capables de le faire grâce à l’Esprit. Il nous fait recevoir tout ce qui vient du Fils, il nous conduit dans la vérité qu’est le Fils, vérité qui donne vie et est chemin vers le Père [5]. Mine de rien, nous venons de nommer ce que Jésus appellera au chapitre suivant « vie éternelle » : « qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Cette connaissance n’a rien d’un froid savoir intellectuel : elle est totalement expérientielle, existentielle, et concerne tout notre être. Elle est participation à la communion d’amour qui rassemble Père, Fils et Esprit (voir 15,10). Instruits par l’Esprit Saint, nous pourrons à notre tour « rendre témoignage » au Christ.
« Bénis le Seigneur, ô mon âme ! »
Le psaume d’aujourd’hui nous donne des mots pour rendre grâce au Seigneur pour la « profusion » de ses œuvres, dont les plus grandes sont de nous avoir créés, de nous avoir donné son Fils, de l’avoir relevé de la mort et nous avoir envoyé son Esprit qui a pouvoir de renouveler toute « la face de la terre » ou, pour parler comme saint Jean, de nous faire naître d’en haut (Jn 3,3) pour que nous participions pleinement à la vie divine qui nous est offerte. « Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! »
Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.
[1] Il y aurait d’ailleurs plusieurs rapprochements à faire entre Ac 2,1-11 et le texte du livre de l’Exode qui raconte la remise de la Torah à Moïse (Ex 19,16-25 ; Ex 20), en particulier dans sa traduction grecque appelée « Septante ».
[2]
Le mot « diaspora » veut dire « dispersion ». Au fil de leur histoire mouvementée, des Juifs se sont retrouvés dispersés dans les pays des alentours dont ils ont adopté la culture et la langue. Si on plaçait sur une carte tous les endroits mentionnés dans le texte des Actes, on verrait qu’ils forment un grand cercle dont le centre est Jérusalem, ville hautement théologique pour l’auteur de l’évangile de Luc et de sa suite, les Actes des Apôtres.
[3]
Dans le récit de la tour de Babel, le verbe « confondre » apparaît à deux reprises (Gn 11,7.8). De l’avis général des exégètes, le texte des Actes y fait allusion en parlant de « confusion ».
[4]
Cela témoigne bien du lien intime qui existe entre le Père, le Fils et l’Esprit. La Trinité n’est cependant jamais mentionnée comme telle dans le Nouveau Testament ; le dogme trinitaire a été fixé en 381 de notre ère au concile de Constantinople.
[5] « Moi Je Suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6).
Source : Le Feuillet biblique, no 2847. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.