Colombe et rameau d’olivier. Relief du Jerusalem Center (Wikipédia).

Jérusalem, cité de paix — AT 17

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 29 avril 2024

Référence biblique : Isaïe 2, 2-5
Liturgie des Heures : Lundi III – Laudes

2,2 Il arrivera dans les derniers jours
que la montagne de la maison du Seigneur
se tiendra plus haute que les monts,
s’élèvera au-dessus des collines.

Vers elle, afflueront toutes les nations
3 et viendront des peuples nombreux.

Ils diront : « Venez!
montons à la montagne du Seigneur,*
à la maison du Dieu de Jacob!

« Qu’il nous enseigne ses chemins,
et nous irons par ses sentiers. »

Oui, la loi sortira de Sion,
et de Jérusalem, la parole du Seigneur.

4 Il sera l’arbitre des nations
et jugera des peuples nombreux.

De leurs épées, ils forgeront des socs,
et de leurs lances, des faucilles.

Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée;*
ils n’apprendront plus la guerre.

5 Venez, maison de Jacob!
Allons, dans la lumière du Seigneur.

Sens original. Le prophète Isaïe commence son livre par un chapitre truffé de sombres prophéties où s’entrecoupent condamnations d’Israël et prédictions de châtiments dévastateurs. Le deuxième chapitre, lui, s’ouvre sur une hymne pleine de consolation et d’espérance : Jérusalem, relevée et exaltée, deviendra une source de paix universelle. Notre cantique AT 17 est composé de ce beau poème.

On peut le diviser en quatre petites sections. D’abord, Isaïe annonce l’exaltation du Temple qui, miraculeusement, sera élevé sur un mont Sion plus haut que toutes les montagnes de la terre. Le prophète en ces mots désigne symboliquement la glorification du Dieu d’Israël qui triomphe de tous les dieux et se fait reconnaître comme seul maître de la terre. Isaïe décrit ensuite un pèlerinage universel où toutes les nations montent au Temple se mettre à l’école de la Torah, à l’instar des juifs pieux qui s’y rendaient annuellement pour les grandes fêtes.

Une troisième section nous présente Dieu comme le suzerain des nations. Il juge entre elles, et elles acceptent ses décisions. Ainsi, les guerres n’ont plus de raison d’exister, les armes peuvent être transformées en outils d’agriculture, les énergies consacrées à cultiver la terre et à faire produire des fruits. Un temps de paix universelle s’établira sur le monde. Enfin, le prophète conclut par un appel adressé à ses frères et sœurs israélites : qu’ils devancent les peuples en se mettant tout de suite en marche vers Jérusalem pour y apprendre la Torah et la pratiquer.

À la lumière des Évangiles. Plusieurs thèmes d’un passage crucial de l’évangile de saint Jean — chapitre 12, versets 23-36 — font écho à cette prophétie d’Isaïe. Ce passage marque la transition entre les deux moitiés de l’évangile, appelées « Livre des signes » et « Livre de la gloire » par de nombreux commentateurs. Dans le « Livre des signes », on affirme à quelques reprises que l’heure du Fils de l’homme n’est pas encore venue. (2,4 ; 7,30 ; 8,20) Qu’est-ce que cette heure mystérieuse ? En 12,23, Jésus commence à dévoiler le sens de cette expression. D’abord, il proclame : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. » Ensuite, il explique que cette glorification coïncide avec son élévation sur la Croix (12,32-33). Comment ne pas y voir un mouvement analogique au rehaussement du mont Sion dans le cantique d’Isaïe ? Comment ne pas interpréter « l’heure du Fils de l’homme » comme l’arrivée de ces « derniers jours » annoncés par le prophète ?

Notons que celui-ci comprend l’exaltation du Temple comme le revers de la dispersion des puissances du mal dénoncées dans le premier chapitre de son livre. De façon semblable, Jésus voit dans sa propre élévation la victoire du Père sur un monde pécheur : « Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. » (12,31) Sa glorification établira ainsi une paix durable, que le monde ne peut pas comprendre. Comme il l’expliquera à ses disciples le soir avant de mourir : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. » (14,27)

Tout comme l’exaltation du Temple provoque l’admiration des peuples et un pèlerinage mondial vers Jérusalem, de même, Jésus affirme-t-il, son élévation aura un impact universel : « J’attirerai à moi tous les hommes. » (12,32) Enfin, comme Isaïe conclut sa prophétie en invitant Israël à marcher à la lumière du Seigneur, Jésus invite ses disciples à marcher à sa lumière : « La lumière est parmi vous. Marchez, tant que vous avez la lumière ! » (12,35)

Dans ma vie. Comme d’autres personnes qui ont eu la chance de visiter Jérusalem, j’ai été frappé par les nombreux contrastes qui caractérisent cette ville. Des lieux profondément sacrés sont entourés de signes de division et de tension ; les prières se mêlent aux réclames des commerçants et aux doléances des manifestants ; des pèlerins fervents sont accompagnés par des soldats armés de mitraillettes. Oui, comme Isaïe l’avait prophétisé, toutes les nations se tournent vers Jérusalem. Malheureusement, ce n’est pas pour y chercher la source de la paix, mais pour empêcher les violences de s’y perpétuer. Je me demande parfois si la vision d’Isaïe n’est qu’une fantaisie décrochée de la réalité.

Que dire alors des paroles de Jésus annonçant qu’il attirera à lui toute l’humanité et lui donnera la paix ? Peut-être a-t-il été « élevé » sur la Croix, peut-être le Père a-t-il été « glorifié », mais il ne me semble pas que l’ère messianique ait produit les fruits escomptés ! Je trouve cela décourageant, à la longue.

Face à mon questionnement, la Bible de Jérusalem propose une piste de réflexion intéressante. Elle note, dans son introduction à l’évangile de saint Jean, que l’auteur inspiré tend à intérioriser l’eschatologie que les autres évangiles décrivent en termes historiques. En autres mots, « le “Jugement” s’opère dès maintenant dans l’intime des cœurs ; la vie éternelle (répondant johannique du “Royaume” des synoptiques) est possédée dès maintenant dans la foi. » Suivant cette piste, je comprends mieux que la transformation entrevue et annoncée par Isaïe doit d’abord se réaliser dans le cœur des hommes et des femmes qui créent l’histoire. Il faut que l’Esprit travaille d’abord en mon cœur si je veux qu’il souffle sur le monde.

Dans le plan de Dieu. Peut-être le cantique biblique AT 27 doit-il est compris d’abord comme une invitation à découvrir et à accueillir l’œuvre de Dieu en moi. Peut-être dois-je permettre à Dieu de s’élever dans mon âme et d’y prendre toute la place si je veux, à mon tour, être un artisan de paix dans le monde. Ces nations qui viennent vers le Jérusalem pour y être enseignées, ne figureraient-elles pas les divers dynamismes qui m’habitent, appelés à trouver leur intégrité et leur unité à l’école de l’Évangile ? L’exhortation à marcher à la lumière du Seigneur, ne parle-t-elle pas d’abord à moi ?

Vu ainsi, le cantique n’est pas seulement une prophétie au sujet d’une ville lointaine. Il se révèle comme un plan d’action qui m’est adressé personnellement, une incitation de la part de Dieu d’entrer de plus en plus dans son plan afin que son Règne s’établisse dans le monde. Jérusalem se transformera en cité de paix que si je deviens, dans toutes les dimensions de mon être, un artisan de paix. Oui, répondons à l’invitation d’Isaïe : « Venez, montons à la montagne du Seigneur ! »

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).

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Psaumes et cantiques

Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.