La Jerusalem nouvelle. Apocalypse des cloîtres, circa 1330.
Enluminure d’un manuscrit médiéval. MET Museum, New York. (Wikipédia).

Chant de victoire — AT 20

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 24 juin 2024

Référence biblique : Isaïe 26, 1-4.7-9.12
Liturgie des Heures : Mardi III – Laudes

1 Nous avons une ville forte!
Le Seigneur a mis pour sauvegarde muraille et avant-mur.

2 Ouvrez les portes!
Elle entrera, la nation juste, qui se garde fidèle.

3 Immuable en ton dessein, tu préserves la paix,
la paix de qui s'appuie sur toi.

4 Prenez appui sur le Seigneur, à jamais,
sur lui, le Seigneur, le roc éternel.

7 La droiture est le chemin du juste;
tu traces pour le juste un sentier droit.

8 Oui, sur le chemin de tes jugements,
Seigneur, nous t'espérons.

Vers ton nom, vers la mémoire de toi,
va le désir de l’âme.

9 Mon âme, la nuit, te désire,
et mon esprit, au fond de moi, te guette dès l'aurore.

Quand s’exercent tes jugements sur la terre,
les habitants du monde apprennent la justice.

12 Seigneur, tu nous assures la paix:
dans toutes nos oeuvres, toi-même agis pour nous.

Sens original. On appelle parfois les chapitres 24 à 27 du livre d’Isaïe son « apocalypse », car on y retrouve des caractéristiques de ce style : l’intemporalité, un langage symbolique truffé d’images oniriques, l’annonce d’un cataclysme cosmique et de la victoire ultime de Dieu sur les puissances du mal. L’auteur contraste le sort de deux grandes villes : l’une — elle n’est pas identifiée — est orgueilleuse et arrogante, mais Dieu la renverse et sa ruine est totale ; l’autre — Jérusalem — est relevée et renforcée. Elle devient un havre de paix pour ses habitants.

Dans ces chapitres, on retrouve plusieurs sections qui s’apparentent à des hymnes ou des psaumes, notamment le chapitre 26. En omettant les versets qui décrivent le châtiment des ennemis de Dieu, on a construit le cantique liturgique AT 20, notre sujet d’étude. Tel que nous le recevons, ce cantique se présente comme un chant qui exalte la victoire de Dieu manifesté dans le relèvement de Jérusalem. Comme dans plusieurs psaumes, l’auteur alterne entre les acclamations communautaires, les aphorismes d’un sage, les affirmations prophétiques, les professions de foi et les exhortations d’un chef. Au cœur de ce mélange de styles, un verset frappe par la proximité de la voix et l’intimité de la confession : « Mon âme, la nuit, te désire. »

L’ensemble du cantique revêt une forme chiastique. Dans les premiers versets, on note certaines expressions — paix, juste, jugement — qui sont reprises dans l’ordre inverse dans les derniers versets — jugement, justice, paix. Au centre, l’évocation du désir. C’est comme si la clé de lecture du cantique se trouve dans cette posture de l’âme toute tendue vers la venue de Dieu, assoiffée de sa présence agissante et victorieuse sur le mal.

À la lumière des Évangiles. Le livre de l’Apocalypse aussi souligne le contraste frappant entre le sort ultime de deux grandes villes, l’une associée aux puissances du mal — Babylone-Rome — et la seconde intimement liée au règne de Dieu — Jérusalem.

D’une part, on décrit le jugement de Dieu sur ces puissances du mal. Ainsi, parmi les versets omis du cantique AT 20, on retrouve cette description : « Dieu a humilié la cité inaccessible, l’a humiliée jusqu’à terre, et lui a fait mordre la poussière. Elle sera foulée aux pieds, sous le pied des pauvres, les pas des faibles. » (Isaïe 26, 5-6) Comment ne pas entendre résonner les mots du livre de l’Apocalypse au sujet de Babylone-Rome : « Des fléaux, en un seul jour, viendront sur elle : mort, deuil, famine, et elle sera brûlée au feu, car il est fort, le Seigneur Dieu qui l’a jugée. Malheur ! Malheur ! la grande ville, Babylone, ville puissante : en une heure, ton jugement est arrivé. » (Apocalypse 18, 8,10)

D’autre part, tant dans la vision d’Isaïe que dans celle de saint Jean, Jérusalem est exaltée. Dans les versets précédant AT 20, on lit : « Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux… Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples. Il fera disparaître la mort pour toujours. » (Isaïe 25, 6-7). Dans un même élan, AT 20 continue : « Nous avons une ville forte ! Le Seigneur a mis pour sauvegarde muraille et avant-mur. » Quant au livre de l’Apocalypse, on retrouve un langage semblable pour décrire l’exaltation de la cité de Dieu : « La Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : “Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur.” » (Apocalypse 21, 2-4)

Dans ma vie. Si je suis honnête avec moi-même, je dois admettre que ces deux cités bibliques se construisent en moi côte à côte. Parfois, je me trouve du côté de la cité de Dieu lorsque je cherche à suivre ses jugements et à régler mes pas sur les voies de la justice. Mais de temps en temps, je penche vers l’égoïsme, l’orgueil et mes propres caprices. J’éprouve de la difficulté à me brancher franchement du côté que, je le sais, mène au véritable bonheur.

C’est alors que le verset central de ce cantique doit prendre toute sa place dans ma vie. Je dois creuser le désir de Dieu en mon cœur. Avec Isaïe, je dois apprendre à prier : « Vers ton nom, vers la mémoire de toi, va le désir de l’âme. » Car Dieu a choisi de ne pas bâtir sa ville sans ma décision d’être co-créateur avec lui.

Le prophète affirme : « Dans toutes nos œuvres, toi-même agis pour nous. » Il ne dit pas que Dieu agit sans nos œuvres, mais qu’il agit « dans » nos œuvres. Le chrétien que je suis reconnaît en ces mots l’Esprit qui travaille en moi, à travers moi. Dieu réalise ainsi son plan de salut avec ma collaboration. Mais cette collaboration doit être suscitée, orientée et purifiée par l’Esprit qui creuse mon désir. Alors seulement Dieu peut-il m’assurer la paix.

Dans le plan de Dieu. L’« apocalypse » d’Isaïe, comme le livre de l’Apocalypse du Nouveau Testament, projette dans un avenir absolu l’ultime fruit du travail humble et discret que l’Esprit opère en nos cœurs aujourd’hui. Ce monde futur d’où seront bannis la mort, la souffrance et le mal se prépare ici et maintenant dans nos efforts de suivre le Christ sur le chemin de la vie.

Nos engagements pour dénoncer le mal et établir la justice sont autant de coups de pics sur les murs des tours monstrueuses de la cité orgueilleuse. Nos gestes d’amitié et de service s’avèrent autant de briques posées dans la construction de la cité de la paix, la ville de Dieu.

En chantant le cantique AT 20, demandons au Seigneur d’orienter le désir de notre cœur vers ce qui vivifie et rend fécond. Implorons-le de renouveler notre espérance dans la réalisation de son plan de salut pour le monde. Et chantons la gloire de Celui qui agit en nous et avec nous. « Seigneur, tu nous assures la paix ; dans toutes nos œuvres, toi-même agis pour nous ! »

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).

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Psaumes et cantiques

Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.